James Bond busted - Kiyoko

Tu te balades dans Tokyo, chaque jour, t’as l’impression de redécouvrir la capitale. Tu découvres de nouveaux coins, de nouvelles rues et ça ne cesse de te fasciner. Pourtant, on pourrait penser que Tokyo n’a rien à envier à Singapour, niveau modernité et paysage urbain, c’est à peu près la même chose, non? Mais pour toi, c’était le jour et la nuit. Peut-être parce que t’en gardais pas un bon souvenir, de ta ville natale. Singapour, c’était synonyme de pauvreté, d’opportunités absentes et d’années de galère. Alors que Tokyo, c’était la ville dont tu avais toujours rêvé sans le savoir. Tu as eu un coup de coeur pour cette ville, sa culture et ses gens. Si tu ne comptais pas rester ici toute ta vie, si tu n’étais venu juste pour voir ta soeur jumelle, maintenant tu te posais la question, pourquoi ne pas rester définitivement? Après tout, t’avais l’impression que rien ne te rattacher à ta ville natale à part quelques vrais amis que tu comptais sur les doigts de la main et tes parents. Mais t’as l’impression que si tu retournes à Singapour, tu te retrouveras enfermé, tu retourneras à la case départ et c’est pas ce que tu veux, pas après avoir goûté à une autre vie.

T’étais tranquille à te balader lorsque tu repères une tête que tu ne connaissais que trop bien à présent. Mori Kiyoko. Ta jumelle, ta moitié, celle qui aurait dû passer sa vie à tes côtés mais qui se trouvait être une inconnue. Parfois, ça te faisait mal au coeur de savoir tout ce que vous n’aviez pu vivre ensemble, les galères et les moments de bonheur mais t’avais découvert qu’elle avait eu une meilleure vie que la tienne et t’en étais heureux. T’avais commencé à la chercher depuis ton arrivée dans la capitale Japonaise et t’avais commencer à apprendre petit à petit ses habitudes. Cette fois, cette rencontre était hasardeuse mais tu te décidais à la suivre. Tu te rendais compte que t’avais l’air d’un creep à la suivre comme ça mais tu ne pouvais pas t’empêcher de vouloir en apprendre plus sur Kiyoko.
Tu la suivais alors qu’elle se dirigeait vers le parc Yoyogi. Cela faisait peut-être dix minutes qu’elle marchait avant de s’assoir sur un banc alors tu t’assis sur un autre banc, un peu plus loin. Tu regardais le lac en face de toi en réfléchissant à ce que tu pouvais bien faire pour l’aborder sans paraître étrange. T’étais tellement perdu dans tes pensées que tu n’avais pas vu qu’elle avait bougé.

Tu fixais les canards qui barbotaient tranquillement dans l’eau, se contenta de plonger leur tête dans l’eau pour en sortir quelques secondes plus tard. T’aimerais bien faire pareil, plonger la tête sous l’eau mais ne plus en ressortir. Parfois, t’aimerais juste tout oublier et te contenter d’être là, observer sans t’impliquer mais tu sais que c’est pas toi ça, toi tu t’impliques trop dans la vie, tu veux trop en profiter et ne rien laisser filer. Après tout, c’est pour ça que tu te retrouvais dans un parc à Tokyo et pas dans ton bloc à Singapour, c’est parce que tu voulais vivre à fond ta vie! Tu fixais donc ces canards quand une voix te sortit de tes pensées. Tu sursauta légèrement et tourna la tête pour te retrouver à quelques centimètres du visage de Kiyoko. T’ouvris grands les yeux et te recula rapidement. Tu ne l’avais jamais vu de si près et à présent, tu pouvais voir sa ressemblance avec tes parents, vos parents. Puis tu devinais sa ressemblance avec toi. Si un inconnu vous regardait maintenant, il se douterait qu’il y avait sûrement un air de famille mais tu doutais que Kiyoko en ait conscience. Tu la fixais pendant quelques secondes avant que tu ne te rendes compte que c’était assez étrange. “Euh…je..ben…” Tu te retrouvais comme un con à balbutier une réponse. T’étais pas comme ça d’habitude. D’habitude, t’arrives à trouver tes mots sans problème, t’as une aisance implacable d’ordinaire mais là, t’étais déstabilisé et tu te retrouvais comme un con.
Tu te calmes un bon coup avant de te redresser sur ton banc et te décaler pour lui laisser une place. “Les canards. J’me dis que ça doit être cool d’être un canard.” Tu remarques le carnet de dessins sous le bras de ta soeur et tu peux t’empêcher de vouloir en savoir plus. “Tu dessines?” Tout était bon pour en apprendre plus sur elle, c’était pour ça que t’étais venu, non?

Tu sens son regard sur ton visage, elle te contemple, te dévisages et tu donnerais tout pour savoir ce qui se passe dans sa tête, ce qu’elle se dit, ce qu’elle pense de toi. Tu ne peux t’empêcher de remarquer votre proximité sur ce banc et t’as l’impression que son regard te brûle la peau. Essaie-t-elle de te cerner comme toi tu essaies de la comprendre? Honnêtement, t’étais pas prêt d’apprendre à la connaître mais tu n’avais plus le choix, il fallait que tu plonges même si tu devais improviser. Ton attention se porta sur son carnet de dessins qu’elle te montra sans gêne et tu te retrouvais obnubilé par les coups de crayon sur le papier. Tu ne pouvais t’empêcher de te demander comment une simple main pouvait créer de choses si belles et fascinantes. À côté, t’avais l’impression d’être un inculte qui ne savait rien faire de ses mains à part des conneries. Elle semblait plus distinguée que toi, plus éduquée et t’avais du mal à te dire que si, c’était bien ta soeur. Puis, tu te trouvais à remercier silencieusement le Seigneur de lui avoir permis de vivre une autre vie que la tienne. T’étais pas sûr que Kiyoko aurait été cette fille délicate et belle si elle avait grandi avec toi dans les quartiers de Singapour.

Tu relevas la tête lorsque tu l’entendis s’exclamer que personne n’aimait les canards. Elle semblait réellement réfléchir à la question et tu eus un sourire amusé. Tu sentais que tu l’aimais déjà, elle semblait aussi perdue dans son propre monde que toi dans le tiens. “Moi j’aime les canards, c’est mignon un canard.” Tu lui souris, convaincu. “Puis comme tu dis, c’est cool de barboter comme ça dans l’eau sans effort! C’est décidé! Si je me réincarne, je veux être un canard.” Ça t’était venu comme ça mais plus t’y penser et plus l’idée de plaisait, ça ne devait pas être si mal d’être un canard, tu barbotes, tu manges du pain, tranquille. “P’têt que t’en dessineras un dans ton carnet, qui sait!” Tu accompagnais tes paroles d’un geste de la tête vers le carnet de dessin. “Et toi, tu te réincarnerais en quoi si tu pouvais choisir?”

Quand tu l’entends éclater de rire, t’as l’impression que tu la connais depuis toujours, et tu te mets à regretter le temps perdu. T’oses pas imaginer tout ce que vous aurez pu vivre ensemble si Kiyoko avait été une enfant du bloc, comme toi. Tu te demandes si vous auriez été proches ou si au contraire, vous vous seriez éloignés. Tant de questions qui resteront à jamais tel qu’elles sont, sans réponses et peut-être que ce n’était pas plus mal. T’avais l’occasion de te construire une histoire avec elle même si pour l’instant, t’avais juste aucune idée de comment aborder le sujet.
Tu lui rends le carnet quand elle te le demande et tu tentes de voir ce qu’elle dessine par dessus ses mains, sans grand succès. Tu fixes Kiyoko quand elle parle de Pokemon et tu réagis pas de suite, ne faisant pas le lien entre les Pokemon et votre discussion. Quand tu réalises qu’elle aimerait se réincarner en Pokemon, tu dis rien, tu t’attendais tellement pas à une réponse comme celle-là. Les autres auraient sans doute répondu un autre animal ou une célébrité ou à la limite, un truc un peu fantaisiste mais pas un Pokemon. Kiyoko, elle faisait partie de ceux qui étaient en décalé par rapport aux autres, tu t’en rendais compte et tu te dis qu’au final, vous n’étiez pas si différents. “Mais pourquoi j’y ai pas pensé!” Tu t’exclames. “Un pokémon, c’est trop cool bordel!” Tu laisses ton excitation prendre le dessus, sans faire attention si tu dérangeais les passants en t’exclamant de la sorte. Au pire, tu passerais pour un jeune étranger qui se croit tout permit dans un pays qui n’est pas le sien.

Tu regardes le dessin qu’elle te montre et tu te reconnais directement mais t’es pas tout à fait toi, t’as des plumes, un bec, t’es un canard en fait. Tu le fixes quelques secondes, le temps de mémoriser les coups de crayons, les détails que Kiyoko avait réussi à faire en si peu de temps. Tu relevas la tête lorsqu’elle te confessa son amour pour les pokémons et tu souris. “Qui n’aime pas?” Tu redirige ton attention sur le dessin puis tu la regardes de nouveau, incertain. “Tu crois que…tu pourrais me le passer? Je l’aime vraiment beaucoup, c’est presque un rêve réalisé, on va dire qu’il est à demi réalisé, je suis un canard là, si c’est pas trop cool ça?” Oui, t’arrivais à être excité face à un dessin de toi en canard mais tu l’aimais vraiment beaucoup, surtout qu’il venait de Kiyoko. “T’es vraiment douée avec le dessin, t’apprends depuis longtemps? Personnellement, je suis une bille avec ça, tout ce qui est créatif et tout, c’est pas pour moi, mais si tu me demandes de te trouver un moyen de te sortir d’une situation perdue, là, je m’en sors pas trop mal.” Tu riais en acclamant ce talent-là, comme si tu faisais de l’humour mais au final, c’était pas si faux que ça.
.