watanabe neptune.

Un sourcil s’arqua au dessus de son visage alors que sa langue arrêtait de tourner autour de la sucette goût cerise. Sérieusement ? Elle croisa les bras sur sa poitrine plate. Quitte à lui offrir un cadeau hors de prix, n’aurait-il tout simplement pas pu lui offrir une voiture de sport ? Il arborait un grand sourire sincère et innocent, contrastant avec son cadeau illégal et d’une folie sans nom.

« Alors? »
« J’aurais préféré de la coke. »

Elle se rappelait du cliquetis du métal, des cris perçants étouffés par des craquements d’os. Des gémissements, suivis par les pleurs. De la vitesse du torse humains sous les secousses émotionnelles. De la couleur des peaux quand les vaisseaux capillaires se rompaient. La torture. Elle n’oubliait rien de la torture. Elle balançait ses petites jambes dans les airs, gribouillait sur un cahier, puis levait les yeux de temps à autre vers son père et ses acolytes en plein interrogatoire. Son regard croisait parfois celui des victimes, et elle s’étonnait de ne pas sentir d’empathie pour ces gens-là. Ils devaient l’avoir mérité, se disait-elle. Ils devaient l’avoir mérité.

                Sa mère devait faire une cinquantaine de kilos pour plus d’un mètre quatre-vingt, et ce filiforme être humain croulait sous le poids de manteaux à fourrure à prix exorbitants. Elle fumait de très longues cigarettes et ne mangeait que de la viande de boucher achetée le matin. Ses caprices n’avaient plus de secret pour son mari qui avait employé quelqu’un à temps complet pour satisfaire les moindres désirs de sa femme. S’il avait su plus tôt qu’il rentrerait un soir pour la voir se faire sauter dans son propre lit par ce dît employé, il n’aurait pas changé sa manière de penser. Tu ne me demandes pas de m’expliquer? S’était-elle étonnée en descendant les grands escaliers de marbre enroulée dans son peignoir de soie bordeaux. Chérie… Avait-il répondu en se retournant, tenant entre ses doigts un cigare. Tu es peut-être l’immonde catin qui me trompe, mais je ne t’en veux pas. Ce n’est pas comme si tu étais capable de faire monter quoi que ce soit en moi et que tu me plongeais dans le désespoir de ne plus sentir ton frigide corps contre le mien. À vrai dire, je suis content que quelqu’un réussisse à faire sortir ce que j’ai toujours vu en toi et que tu as ardemment nié pendant vingt ans. Et alors qu’il portait son verre de whisky tenu par son majordome à ses côtés et qu’il trempe ses lèvres dans la liqueur, il termina en le reposant sur un plateau d’argent. Une chienne. Et sur un clin d’oeil, il se tourna pour aller au salon, et frôla l’arrêt cardiaque en voyant son unique enfant dans l’embrasure de la porte, le visage glacé.

Elle ouvrit la bouche en grand puis se ravisa. Ses lèvres se pincèrent en une moue disgracieuse alors qu’elle réfléchissait activement.

« Cent huit! … Je crois… » Annonça-t-elle finalement. « J’pense que je dois avoir plus d’une centaine de traumatisme d’enfance, pourquoi? Tu t’es senti concerné quand j’ai parlé de tes mommy issues répugnantes ? »

Ils gardaient le silence, entassés sur le sol comme de vulgaires bouts de tissus sales. Qui aurait pu prévoir que cinq hommes agressant sexuellement une enfant de seize ans terminerait mal pour les cinq? Certainement pas eux. Ils avaient trouvé cela facile, au début. Elle était passée avec son uniforme d’écolière, ces jupes provocantes, la tête plongée dans son jeu vidéo, une sucette en bouche. Proie facile. Elle s’était laissée attrapée sans résistance, elle n’avait même pas bronché quand l’un d’eux avait posé ses doigts sur sa très plate poitrine. Elle ne cessait de parler, de questions en questions, fascinée par le comportement hideux dont elle était victime. Puis elle en eut subitement assez. Neptune n’avait pas eu besoin du soutien de son père pour s’en sortir, jamais. Un à un, elle les avait mis au tapis, mais pas seulement. Jamais n’avait-elle ôté de vies, mais cela ne signifiait pas pour autant qu’elle n’était pas capable de blesser gravement. Deux finiraient probablement en fauteuil roulant, deux ne seraient plus capable de voir. Quant au dernier, elle était assise dessus à se demander ce qu’elle allait bien pouvoir faire de lui.
Watanabe Neptune était loin d’être une psychopathe, mais la cruauté de son père coulait en ses veines. Tout comme l’honneur et la dignité. Jamais ne ferait-elle une épreuve de force face à un ennemi, aussi puissant soit-il, s’il était honorable et digne. La petite fille avait ses valeurs, et valorisait ceux qui en avaient, quand bien même ne fut-ce pas les siennes. Ses cheveux étaient si longs que la pointe tremblait sur les quelques gouttes de sang qui avaient perlé sur le visage de son agresseur, nouvellement victime. Puis le craquement des semelles sur le goudron lui firent lever le visage. Papa avait-elle chantonné en se levant avant de se jeter dans ses bras. Il lui avait tendu une autre sucrerie, et alors qu'elle le serrait dans ses bras, elle entendit ses hommes de main se mouvoir vers les corps étendus au sol.

La chance ne leur avait pas souri lorsqu'ils étaient tombés sur elle.
Mais elle les avait définitivement abandonnés dès lors que son père était arrivé.
Ainsi que l'oxygène dans leurs poumons, par ailleurs.

Sa main partit seule s’écraser sur la joue de ce jeune homme. Il se retourna, outré, alors qu’il vit une jeune femme lui hurler dessus. il lui fallut quelques longues secondes avant de se rendre compte qu’elle l’engueulait parce qu’il marchait sur de l’herbe, et que c’était interdit. Qui était cette tarée? De longs cheveux noirs corbeaux, une peau plus pâle que la neige, et l’un des airs les plus antipathiques qui lui eut été donné d’apercevoir. Il l’avait prise pour une petite fille alors qu’elle avait vingt-trois ans. Un an de moins que lui, à peine. Et dès l’instant où cette petite boule de nerfs furieuse lui avait mis la plus grosse claque gratuite de sa vie, il savait qu’elle était, également, la femme de sa vie.
Il l’a demandée en mariage six mois plus tard, pour prendre le plus violent des non au visage. Et il a persisté durant deux ans avant qu’elle n’accepte. Il ne connaissait qu’elle, et pas sa famille. Et quand elle apprit qu'il croulait sous les dettes qu'il avait contractées auprès de sa famille, il avait déjà perdu la vie.
Ses longues jambes avaient descendu les escaliers quatre à quatre pour arriver dans une pièce sombre et remplies d'outils de torture. Son père était assis, ses laquais debout près d'un corps mutilé. Le sien. Nue n'avait pas versé une larme, n'avait pas crié. Elle n'avait pas soupiré, ni souri, ni rien. Juste rien. Le vide. L'oblivion. Ses émotions en émoi s'étaient additionnées, empilées les unes aux autres avec une telle intensité, qu'il ne restait plus rien dans son corps. Juste le néant poignant et le silence crissant de son coeur qui ne battait plus.
Ainsi s'achevait son premier amour.

Elle n'avait hérité de rien de cet homme. Il était pauvre, si ce n'était d'âme. Neptune n'aurait rien voulu de lui. Elle ne se montra point aux funérailles, mais se présenta à sa tombe pour y déposer son alliance. Par habitude d'avancer, plus jamais elle ne revint dans ce cimetière. Mais sa dernière prière fut de retomber amoureuse une ultime fois.
Elle se posait la question de si l'amour existait, assise dans son bureau aux multiples écrans. Elle regardait d'un oeil las ses employées se faire sauter par des vieux porcs shootés aux cachets pour faire monter les parties génitales dont ils étaient si fières. C'était malsain, mais le concept même des maisons closes était malsain. Elle songeait à en ouvrir une façon geisha, probablement son attachement aux traditions qui parlait. Pas certaine de vouloir persister dans ce réseau-là. Pourtant, c'était l'héritage familial, et elle n'en réchapperait pas.
Quitter les yakuzas était déjà compliqué, mais lorsque l'on était la fille d'un parrain et qu'on avait grandi en entendant qu'on était douée et faite pour ça, difficile de songer à autre chose.