✻✻✻ ☾ L'effervescente aux bouts des doigts, la nicotine te brûle les poumons tandis que les nuages nébuleux se dissolvent dans le ciel nocturne. Les gens s’confondent autour de toi, ils s’esclaffent et titubent, se tiennent les uns aux autres pour marcher droit, et toi tu les regarde en secouant la tête. Tire une nouvelle fois sur la coquine entre tes doigts, écrase le mégot sous tes godasses usées avant de sortir le cellulaire de ta poche. T’envoies un message à Kaede à qui t’as donné rendez-vous ici même, l’gars s’est toujours pas pointé et tu te demandes s’il n’a pas fini par se défiler. C’est un brave gars, Kaede. Une âme un peu perdue, bien trop pure, t’as juste une envie, toi, c’est d’la corrompre ; la souiller sous tes mains destructrices. C’est pour ça que tu lui as proposé de venir ici, dans ce quartier malfamé. Faire le tour des bars, danser sur de vieux remixes bon marché, sentir l’alcool vous enivrer ; lui, pour la première fois. L’innocence dans un gabarit d’1m75 aux yeux fuyards, sourires discrets. Tu l’as senti sur ses gardes, lorsque tu lui a proposé de passer la soirée avec toi ; hésitant. Il a pas l’habitude, lui. Il connait pas trop ça, la débauche et la sauvagerie. T’as envie d’lui montrer ce qu’il rate ; lui faire découvrir ton monde un peu bancal. Et t’entends la musique dans la bâtisse bourdonner dans tes oreilles, alors tu commences à t’impatienter, sautille sur place tandis que tes yeux délicatement maquillés vaguent dans les alentours à la recherche de ton compagnon de soirée. Tu serres la mâchoire en réalisant qu’t’es baisé ; il t’as laissé poireauter trente minutes devant la boîte de nuit pour au final ne pas s’y présenter. Tant pis. T’iras au repère, tu t’fumeras quelques joints devant un film triste qui t’fera mourir de rire, et demain tout s’ra oublié. Même si ta rancune amère t’obligera à supprimer son numéro et te pointer à son lieu de travail pour l’insulter. Mais alors qu’t’es sur le point de t’en aller, tu l’vois débarquer, lui et sa démarche un peu hésitante, presque gênante, les pieds en dedans, il s’arrête devant toi pendant qu’tu le reluques de haut en bas. « J’ai cru qu’t’allais te défiler. Allez magne-toi, l’entrée est à moitié prix pendant dix minutes ! Ce soir tu pécho mon pote ! » et t’attends même pas sa réponse, l’attrapant par le poignet pour l’obliger à te suivre dans l’antre des péchés. .
✻✻✻ ☾ Des semaines. Peut-être même des mois que tu n’avais pas pris une soirée pour toi seul. Tes nuits, tu les passait au club, à mentir aux femmes qui commençaient presque à te répugner, ou à la maison auprès de tes soeurs qui te redonnaient foi et illuminaient ta vie. Mais à quand remonte la dernière fois ou tu as vraiment pu te faire plaisir à toi? Passer du temps avec un ami? Sortir s’amuser un peu, selon leurs règles à eux et pas les tiennes? Une éternité. Et il y avait eu Hiroki. ce type était loin d’être ton meilleur ami, c’est sur. Tu le trouvais trop… débauché? Venant de toi, l’host, la pute de luxe, c’était assez ironique en fait, non? Mais tu te disait "Je fume pas moi… Je bois presque pas moi… Je suis clean, moi." et ça te rassurait. Il t’avait proposé de passer une soirée avec lui. Tu savais pas vraiment ou ça te mènerait. Tu espérait juste en revenir vivant, sobre et sain. Tu te demandais encore ce que vous alliez faire. Vous veniez de deux mondes différent. Tout deux appartenant à la nuit, mais deux mondes différents tout de même. Il t’attendait à Kabukichō, et bien que tu aies toujours été le type le plus ponctuel au monde, tu n’arrivais pas à partir de l’appartement. T’avais peur de ce qui pourrait se passer ce soir. Tu scrutais tes vêtements. Était-ce trop habillé? Tu voulais pas avoir l’air d’un clown. Ni abimer tes vêtements d’ailleurs. Tu aurais du être là bas depuis dix bonnes minutes déjà mais ton reflet t’obsédait. Depuis que tu étais host, que tu te maquillais le soir, tu te trouvais différent, plus beau peut-être. Après avoir réfléchit autant, tu resta en réalité habillé comme tu l’avais été toute la journée : un jean noir, parce que c’est sobre, et que tu espères encore qu’on ne te remarquera pas, et un sweatshirt gris. Mieux tu étais couvert, moins on te remarquait. Tu y allait pour faire plaisir à Hiro, et intérieurement, tu te maudissait, de ne pas savoir dire non. Tu arrives sur les lieux une demie heure après l’heure prévue. Le quartier est sombre, des types te regardent bizarrement, ça sent pas bon. T’es pas dans ton élément ici. Tu sais te battre, et te défendre mais tu es lâche et préfère ne pas en arriver là si quelque chose dégénère ici. Lâche que tu es, Kaede. Hiro t’accueille, avec sa dégaine habituelle, son air de sauvage, qui pourtant le rend presque classe. Tu l’as déjà envié, parce qu’il a l’air libre dans sa destruction. « J’ai cru qu’t’allais te défiler. Allez magne-toi, l’entrée est à moitié prix pendant dix minutes ! Ce soir tu pécho mon pote ! » Ton poignet subit l’étreinte de sa main. Pécho? T’es pas venu pour ça, tu le sais. T’es pas un de ces types cools, qui fument, boivent et niquent à tour de rôle, t’es ce genre de type parfait, beau, pur, qui attend la femme parfaite pour coucher, ou même à embrasser d’ailleurs. « Attend, attend ! J’suis pas venu pour ça Hiro, on va faire quoi là dedans? » Ça y est, secrètement, tu te déteste encore plus d’avoir accepté. Lâche et trouillard, quelle belle personne tu es Kaede.
✻✻✻ ☾ Tu t’retournes ; lâche son poignet que t’as serré un peu trop fort dans une pression maladroite, le reluque quelque secondes avant de lever les yeux au ciel. Tu les comprends pas. Les âmes pareilles à celle de Kaede, innocentes candides sur leurs gardes, tu les comprends pas. Toi, t’as juste envie d’t’amuser, utiliser l’anesthésiant alcoolisé pour oublier ta vie un peu trop défaillante. T’as envie d’rire, t’as envie de danser. Avec ou sans Kaede ; tu sais qu’tu rentreras peu importe ce qu’il décide, même si t’aimerais lui apprendre la vie, à lui aussi. Médiocre professeur, senpai défaillant, tu fais plonger tous tes élèves avec toi. Tu secoues la tête sans cacher le mécontentement sur tes traits crispés, la mâchoire serrée. « Aish. T’es méga lourd là, c’est bon relax ! J’t’ai pas attendu dix ans pour rien ! » morveux capricieux, manipulateur minutieux ; tu l’fais culpabiliser pour arriver à tes fins, lui parle en même temps qu’tes jambes glissent vers l’entrée. « J’déconnais, personne touchera à ta fleur ce soir tu peux t’détendre ! On va juste boire un verre et s’amuser, alleeeez viens ! » t’écoutes pas vraiment sa réponse, levant ta tête au nez du videur aux allures de yakuzas auquel tu tends un billet. L’argent de la Corée, au final, t’en as jamais eu besoin. Les bourdonnements musicaux s’transforment en cacophonie tonitruante lorsque tu pénètres dans l’enseigne. Le corps tremblant sous les baffles gueulardes, les néons lumineux et lasers polychromes diaprant la pièce assombrie t’agressent les yeux, mais tu souris. Corps emmêlés, sautillants dans l’ivresse musicale, t’es bousculé, attrapé, secoué alors que tu t’diriges vers le bar bondé. Tu gueules au vendeur ta commande ; deux shots, juste pour commencer la soirée. Réchauffer un peu tes entrailles avant d’passer aux choses sérieuses. T’as ton sourire habituel au coin des lippes ; le nocif, celui qui enlumine tes yeux d’une lueur malsaine alors qu’tu lèves ton verre minuscule face à Kaede ; l’avale d’une traite, grimaçant sous l’amertume. « AWW PUTAIN, CA DECHIRE CE TRUC ! »
✻✻✻ ☾ Pourquoi était-il venu au juste? Ça ne lui ressemblait pas. Certes, il était host, mais il n’avait jamais été comme eux, les gens qui, comme des abeilles autour d’une ruche, gravitaient à Kabukicho. Ces gens libres, attirés par les néons tels des papillons de nuit, se perdant dans l’ivresse de leur jeunesse, au milieu d’autres âmes perdues elles aussi, prétendant d’amuser, vivre, mais se contentant juste d’exister, d’être là. Non, il n’était pas comme eux. Lui était pur, réellement et profondément pur, on dit toujours que personne n’est tout bland ou tout noir, mais Kaede était si proche de la pureté qu’il était difficile de croire qu’il n’était pas tout blanc. Hiroki et ses caprices, tel un enfant pleurant pour avoir des bonbons, à exiger ce qu’il veut d’une mère trop laxiste. « Aish. T’es méga lourd là, c’est bon relax ! J’t’ai pas attendu dix ans pour rien ! » Ses jambes suivent difficilement celles d’Hiroki. Comment ce gosse peut-il être aussi… Libre, déluré. Kaede se sent si vieux face à lui, leurs trois ans d’écart semblent être des décennies, comme un fossé entre la luxure d’Hiroki et la sainteté de Kaede. Il approche timidement la porte, dans les pas d’Hiro, sans rien répondre à ses mots. « J’déconnais, personne touchera à ta fleur ce soir tu peux t’détendre ! On va juste boire un verre et s’amuser, alleeeez viens ! » Toujours plongé dans ses magouilles, le sale gosse fourre un billet dans la poche du videur, Kaede est comme étranger à ce monde. Un papillon au milieu des abeilles. L’intérieur de la salle est macabre à en tuer un épileptique, néons fluos, flashs de lumières, corps en feu qui se mêlent et se perdent. Une musique forte en fond qui lui agresse presque les tympans. Hiro commande deux verre. Hiro s’enfile un verre. Hiro, qui a surement l’habitude de boire ces alcools forts d’ailleurs. « AWW PUTAIN, CA DECHIRE CE TRUC ! » Un léger soupir qui sort de la bouche de l’ange, c’est à son tour de boire. Il est venu pour faire plaisir à son ami. Alors il va lui faire plaisir et s’adapter à lui. Un shot, brulant, ardent qui descend le long de sa gorge, l’enflammant tel un dragon. « OK JE TE L’ACCORDE C’EST UNE TUERIE ! » Deux autres shots commandés, deux autres shots qui coulent dans son oesophage avant de rejoindre le premier. Il est là pour s’amuser, pas l’temps d’niaiser.
✻✻✻ ☾ L’étonnement se lit dans tes yeux délicatement embrumés. Le rictus salissant tes lippes encore piquantes d’une liqueur pécheresse alors que tu l’observes d’un œil malicieux. Tes orbes mutins le fixent de longues secondes avant qu’ton rire ne s’étouffe dans la cacophonie, amusé par le brusque changement de situation ; le gamin gobe les verres à la suite sous ton regard ébahi et toi tu l’fixes. Y’a rien de bon dans ton regard. Juste la nocivité ; comme celle qui pétillait au bout de tes doigts quelques minutes auparavant, celle qui ravage ton œsophage en ce moment. C’est sombre, c’est moche. Et t’as les pupilles dilatées sous une envie malsaine de corruption. T’es un putain de dérangé, Hiroki. Il t’faut quelques secondes pour que tes yeux ne se plissent sous un sourire pétillant alors qu’à ton tour, t’enfiles un verre ; deux, trois peut-être. T’as un peu la tête qui tourne. C’est pas bon. Enfin, si, c’est bon. Tu sais pas. Tu t’en fous, tu t’contentes d’attraper le gosse par le col de son t-shirt trop parfaitement repassé pour l’entraîner dans l’antre des péchés. Là où les corps s’emmêlent sous les ondulations charnelle, où les mots, même hurlés ne sont que de vulgaires chuchotements qu’une mauvaise musique étouffe. La cour de récréation du diable ; la tienne. Et tu sens déjà les regards juger ton corps fluet ; ceux des autres tentent d’approcher le gamin facile que tu es. Une main baladeuse sur tes hanches dénudées par un geste un peu trop osé. Tu ris ; pédé presque assumé. Tu finis par repousser ces mains inconnues d’un geste inconsciemment brusque avant de jeter un coup d’œil à Kaede, puis autour de toi. Tu sais plus c’qui est vrai, t’es pas sûr de c’qui est faux ; tu sais pas trop si le groupe de nymphes aux robes trop courtes vous fixent réellement, ou si elles ne sont rien d’autre que de vilaines chimères créées par ton esprit brouillé. T’as pas le temps de réfléchir, t’attrapes Kaede par le bras pour approcher son oreille de ta bouche humide. « Eh, j’crois qu’t’as une touche ! » un rapide mouvement de tête aux demoiselles rougissantes, leurs yeux se font bien moins persistants ; fuyards sous un gloussement incontrôlé. « Vas-y, vas leur parler ! »
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