Coz I luv the way ya hurt me || Okamoto Keith

Keith & Sayae

Vingt-trois heures quarante-cinq. Sayae était déjà fortement alcoolisé lorsqu’il entra dans le bar. Le troisième de la soirée, rien que ça. Lorsqu’il mettait un pied devant l’autre, le monde semblait étrangement tourner autour de lui. Sensation perturbante pour l’organisme mais clairement loin d’être déplaisante pour le jeune homme. Déjà, il commençait à avoir les idées moins claires que d’habitude. Pour quelqu’un comme lui, doté du même Q.I. qu’une moule, la situation pouvait être alarmante. Elle l’était-même certainement. Mais le tatoué s’en moquait. Cela faisait depuis bien longtemps qu’il avait fait taire cette sonnette d’alarme pourtant nécessaire à sa survie. Quand il était dans cet état, il savait parfaitement comment les choses se terminaient : au mieux, il finissait dans le lit d’un inconnu –en priant pour ne pas tomber sur un vieux pervers- et au pire...au pire, il finissait à demi-mort dans le caniveau d’une ruelle. Scénario qui arrivait plus souvent qu’il ne l’aurait fallu. Mais cela aussi, ça n’avait plus vraiment d’importance. Cela devenait classique, d’une certaine façon. S’attirer les embrouilles était comme une seconde nature pour lui. Il l’affirmait même de vive voix, ne s’en cachait pas. Après tout, c’était bien pour ce genre de vie qu’il avait été éduqué. Il ne méritait certainement pas mieux. Et loin de crier à l’injustice, il en riait. Sayae finirait de la même façon qu’il avait commencé : au plus bas.

Ses camardes de beuverie l’avaient laissé tomber pour ce troisième round. Il les avait insulté joyeusement alors qu’il titubait presque, l’alcool menant son chemin jusque dans ses jambes frêles. Il était toujours le premier à pousser la bêtise jusqu’à son paroxysme : on le lui disait souvent. Il répondait, amicalement, par un joli doigt d’honneur. Il se passait avec plaisir de ce genre de commentaire. Ce qu’il savait déjà, il n’avait pas à l’entendre. Cet épisode de côté, il avait mené  son petit bout de chemin seul –puisque personne ne méritait de l’accompagner- jusqu’au premier bar qui avait attiré son attention. Sur sa route, il répondait d’un sourire ironique aux personnes qui le dévisageaient. Cela arrivait souvent quand il était sobre mais plus encore lorsqu’il était alcoolisé. Allez savoir pourquoi. Le monde ne tournait définitivement pas dans son sens. Et il adorait ça, d’une certaine façon. C’était un bon prétexte à casser quelques mâchoires : un regard de travers suffisait pour l’enflammer, dans ses « bons » jours.

Sans plus de cérémonie, il s’était mis à boire. Le serveur avait sans doute remarqué que Sayae n’était plu s vraiment sobre, mais avait préféré faire comme si de rien n’était. Trouillard, pensa-t-il amèrement. C’était toujours pareil. Les gens préféraient fermer les yeux sur ce qui les dérangeaient, éviter les embrouilles. La société marchait plus ou moins de cette façon. Attendant son double whisky, il laissa son regard indolent parcourir la salle de droite à gauche. Il n’y avait pas tant de monde que cela ; il en fut étonné.  Ses yeux félins finirent par se poser sur une étrange silhouette : familière. Il plissa un peu plus les paupières, comme dans l’espoir d’affuter sa vision. L’homme qu’il distinguait de dos, au bout du bar, lui disait bel et bien quelque chose. Il en aurait mis sa main à couper ! Sans marquer plus d’hésitation, il se leva pour aller voir directement de qui il s’agissait, quitte à le forcer de tourner la tête vers lui. Avec trois grammes d’alcool dans le sang, Sayae se sentait capable d’en faire, des choses !... Ce fut donc sans la moindre gêne qu’il vint s’asseoir devant la mystérieuse personne. En découvrant le jeune homme aux cheveux blonds, il afficha un air surpris. Pas de doutes, il le connaissait ! « Tu s’rais pas dans la même fac’ que moi ? » l’aborda-t-il de la plus directe des manières, laissant de côté les règles de savoir vivre qui étaient de rigueur lorsqu’on s’adressait à quelqu’un. « Ouais...j’reconnais ta tête » Il avait répondu presque avant de connaître sa réponse. C’était bel et bien un étudiant qui fréquentait la même université que lui. Il l’avait vu quelque fois, lorsqu’il traînait dans les couloirs à la recherche d’une distraction plus intéressante que les cours qu’il devait suivre. Il avait un prénom étranger, truc du genre. Il avait déjà entendu quelques filles parler de lui en gloussant comme des dindons. Mais avait son cerveau qui marchait à deux à l’heure, impossible de s’en souvenir.

Sayae posa ses deux coudes sur la table, le regarda longuement d’un air songeur. Il pouvait comprendre son succès. C’est qu’il avait une gueule pas si détestable que cela, à regarder de plus près... Oh, d’ailleurs, c’était pas la seule chose pour laquelle il avait déjà entendu parler de lui. « Ça te pose pas d’soucis si j’te tiens compagnie ? » Un sourire espiègle prenait place sur ses lèvres ornées de multiples piercings. Oh oui, il avait bien envie de parler avec cette personne pour le moins intéressante. Il farfouilla dans une de ses poches, en sortit un petit sachet dans lequel trois comprimés rose pâle se battaient en duel. « De la bonne », qu’on lui avait dit. Le jeune homme n’était pas particulièrement friand de ce genre de choses, mais il ne crachait pas dessus quand on lui en faisait le cadeau, comme cela avait été le cas au cours de la soirée. Peut-être que l’ami qui les lui avait donné espérait en faire un potentiel client. Il agita effrontément le sachet devant les yeux de son interlocuteur. « T’es plutôt connu pour aimer ce genre de merde, d’ailleurs ~ » ricana-t-il en fixant le jeune homme. Oui, c’était bien ce qu’il avait entendu d’une source « fiable ».