Il ne savait même pas l’heure qu’il était, lorsque ses yeux se plongeaient sur sa montre, ils ne voyaient plus rien qu’une image floue qui se moquait d’eux. Seules les tâches de couleurs intenses ressortaient à son regard, le pénétraient et l’aveuglaient. La fatigue jouait son rôle, mais bien battue par le pouvoir ambré du whisky. Keishi soupira, il aimait trop boire, il aimait trop être seul, juste lui, avec sa bouteille. Pourtant, ce soir, il avait fui la solitude mais n’avait osé demandé la compagnie d’un proche. L’alcool le rendait misérable, les autres n’avaient pas besoin de voir ça, et lui, n’avait pas envie de lutter contre son envie de s’enivrer. Ça l’enrageait, d’y penser, à tout ça. Ce n’était pas de sa faute, n’est-ce pas ? Si tout était parti en fumée ? S’il était né déviant ? Si son père n’était pas un père ? Si… cette saveur était si délicieuse, que lorsqu’elle brûlait sa gorge, elle enfouissait tous les mauvais souvenirs dans un tas de ciment compact ? Alors oui, il continuerait de boire, seul, tout seul, à jamais s’il le fallait. Peu à peu le porte-monnaie se vidait, et sur le comptoir, les verres vides se côtoyaient. Le serveur disait non, mais les billets fermaient aussitôt son clapet. Et petit à petit, les paupières se fermaient, le noir l’emportait sur les tâches éclatantes de lumière, la tête tomba sur un bras et le sommeil termina la soirée de Keishi, ce dernier oubliant où il était.
Il était dans l’hôtel, personne. Ou plutôt, plein de monde, comme d’habitude, le décor toujours aussi prestigieux. Puis là, son frère, sa sœur, qui passaient sans le voir. La mère qui le regardait un instant et qui déviait le regard, le chien qui le prenait pour un poteau. Et le père qui du haut des escaliers le dévisage, fort et déçu, intransigeant. Keishi devint. Puis les clients s’immobilisèrent et pointèrent leur doigt sur lui. Ils hurlaient tous en même temps, ce qui semblait être une insulte mais le petit était incapable de les entendre. Bientôt, tous prirent feu, tous hurlèrent et coururent dans tous les sens. Les locaux changèrent, toujours en flamme, Rio surgissait, en flamme, ses employés, tous, hurlèrent, souffrirent.
Soudain sa tête se redressa d’un bond, le cœur prêt à exploser, il posa sa main dessus le temps de se calmer. Rien n’était stable autour de lui, cela lui donnait le tournis. Enfin, il remarqua un visage familier, d’une douceur extrême et pourtant, c’était bien ce visage qui était à l’origine de son cauchemar. «
Rio ? » Il fronça les sourcils, un vilain mal de crâne torpillant son front subitement. «
Qu’est-ce que tu fiches ici ? » Il fit un geste vague de sa main, signifiant pour elle de s’en aller. Il se dressa hors de son tabouret et commença à se diriger vers la sortie, luttant pour garder l’équilibre. Il ouvrit la porte avec la force qu’il lui restait et s’étala au sol. Il faisait froid et le fait qu’il avait oublié de mettre sa veste n’arrangeait rien du tout. «
Oh et puis merde… Jeune fille… » fit-il en voyant que Rio l’avait suivi. «
Rentre chez toi, tu vas attraper froid. » Il soupira. «
Moi je vais dormir ici. »