you were the one (lexa)

Misa. Son prénom dans sa bouche. Ça la dégoûte. Il l'appelle. Il la veut. Elle non. Elle ne le voudra jamais. Se forcera toujours. Le sait-il ? S'en préoccupe t-il ? Pas le moins du monde. Elle lui dit d'attendre. Qu'elle arrive dans une seconde mais il n'obéit pas. C'est à elle de le faire. Il vient l'enlacer par la taille. Elle, face au miroir, le voit faire. Le regarde poser ses mains sur elle comme si elle n'existait pas. Comme un simple morceau de chair à son service. Elle aimerait les lui enlever. Le repousser, lui dire casse-toi mais elle ne peut pas. Elle a besoin de cet argent. Elle se dit que ce n'est rien. Qu'un mauvais moment à passer. Sauf qu'il est trop mauvais. Pourtant, Misa prend sur elle. C'est devenu une habitude, un réflexe. Faire semblant, sourire, accepter. Elle finit de se préparer. Enfile sa dernière boucle d'oreille. Une parure offerte par lui. Un cadeau. Ça te plaît, lui avait-il demandé. Elle avait répondu oui, n'ayant aucun autre choix. Oui. Misa est sa poupée, son jouet.

Aujourd'hui, il l'emmène faire un tour. Il veut se promener avec une femme à son bras. Une jeune, un futur trophée, quelqu'un qui le rajeunisse. Elle le rend enfant mais il la pourrit. Le sugar daddy la prend par la taille, comme une gosse. Limite, il lui attacherait presque sa ceinture dans la voiture. Misa laisse couler, ne répond rien, obéit sagement. C'est le seul comportement possible. Les immeubles défilent, les paysages, les visages aussi. Misa fixe l'extérieur, ne veut pas voir sa main. Oui, il lui touche la cuisse. Elle est à lui après tout. Jusqu'à l'heure qui les séparera. Il l'a achetée pour une durée limitée. Misa est une fleur qui se fanera. Une cendrillon qui redeviendra poussière, retrouvera sa citrouille. Ils roulent, roulent dans Tokyo. C'est long, chiant même mais reposant parce qu'il finit par se taire. Ou peut-être que Misa ne l'écoute juste plus. Elle a appris à ne plus entendre, à boucher ses oreilles avec les bruits ambiants. Celui de la respiration du chauffeur, le clignotant, les klaxons. Paradis momentané.

Ils arrivent. A peine a t-elle fait un pas qu'il l'attrape, la retient. Elle ne s'enfuira pas. En doute t-il ? Misa et l'homme font quelques boutiques. Il commence à se lasser. La magie s'estompe. Il l'escorte pourtant jusqu'à l'intérieur de la boutique. Misa marche, avance jusqu'aux chaussures. Des milliers, presque. Magnifiques. Misa se plonge dans ses pensées, observe. Quelqu'un arrive finalement jusqu'à eux. Une voix s'élève. Une femme. Mais cette voix, Misa la connaît. Elle ne l'a jamais oubliée. Elle lève la tête, perdue. Et là, c'est le choc. Elle. Le sugar daddy disparaît après quelques banalités. Il laisse Misa bouche-bée, seule, perdue. Elle la fixe. « Lexa ? C'est bien toi ? Je...ça fait longtemps...»

Ses doigts tapotent doucement son visage, dans cette attention particulière à cacher les moindres cernes. Les inévitables signes de fatigue, des longues heures de travails préférées à celle de sommeil. Parce qu’elle ne sait faire que ça. Travailler. Faire la fête aussi, jusqu’à pas d’heures. Mais c’est une autre histoire. Elle adore ça. Comme une drogue. Encore plus quand elle se promet de sortir une nouvelle collection. Sa petite tête blonde remplie d’idées. Le regard fixé sur son grand miroir, Lexa passe chaque détail à la loupe. Elle n’oublie rien. Un sourire finit par étirer ses lèvres fardées de rouge, comme à son habitude. Les nuits éveillées ne sont plus qu’un vague souvenir sur son visage radiant. C’est une des rares fois où elle trouve le temps de se rendre à ses propres boutiques. A la fois pour avoir une opinion propre sur les employées, mais aussi, pour ressentir. Cette stupide fierté qu’elle a à chaque fois de voir des créations issues de sa tête prendre forme, entreposées au milieu des nombreux rayons. La jeune femme sourit, les doigts glissés sur son volant. Elle se sent comme une gosse. Toute excitée à l’idée de pouvoir passer du temps là-bas. Elle accélère même un peu, dépasse la vitesse à certain détour, juste pour arriver plus vite.

Pourtant, une fois à l’intérieur du grand- centre commercial, la jeune femme se perd. Dans les autres boutiques, dans les sourires accueillants des vendeuses et l’éclat des nombreux bijoux. C’est plus fort qu’elle. L’acheteuse compulsive en elle n’arrivera jamais à rester de marbre devant ce genre d’attraits. Et c’est finalement une heure après qu’elle prend l’ascenseur directement pour ses boutiques. Les bras chargés de plusieurs sacs. Des vêtements qu’elle ne portera surement jamais. Et cette arrière-goût à la fois doux et amère, d’avoir succombée. Encore.

Elle soupire, le regard fixé sur le faux carrelage, comptant chaque petit carré sur lequel elle posait le pied comme une demeurée avant d’arriver à sa boutique. Il y’en avait trente-sept en tout. Elle salua ses employés d’un sourire, posant ses sachets remplis de caprices près de la caisse. Il y’a beaucoup de monde et les vendeuses semblent avoir du mal. Lexa se décide finalement de les aider. Un pas après l’autre, une longue chevelure brune attire son regard, comme l’avait fait les pendants précieux tout à l’heure. « Je peux vous aider ? » Le visage qui se tourne.

Les traits atrocement familiers. Les mots de la belle brune qui renforcent cette impression. Elle l’a connait, elle le sait. Pourtant, c’est difficile d’arriver à remettre un prénom sur ce visage.

Réfléchis, putain.

« Misa ? » Enfin. L’adolescent rêveur et timide. Celle à qui elle parlait de temps à autre au lycée. Epoque où Lexa était beaucoup trop occupée à tomber amoureuse d’une meilleure amie hétérosexuelle pour penser à quoi que ce soit d’autre. « Je ne pensais pas te revoir un jour. » Le sourire sincère et une main qui vient se poser distraitement sur le bras de Misa. « Tu veux que je t’aide, je te ferai un bon prix. » Elle rit. Sa main glissant doucement contre le bras. Sans même y porter attention.

Les balbutiements. Les battements de coeur qui s'accélèrent. La perte de contrôle. Misa se sent prise au piège dans une autre dimension. Le passé lui revient en pleine figure comme un boomerang, sanguinaire, violent. Lexa. Quatre lettres. Un prénom qui a hanté ses nuits, ses journaux intimes et ses pensées. Lexa. Ce fantasme inavoué. Lexa. Cet amour inassouvi, à sens unique. Misa l'observe, la fixe, peut-être un peu trop. Elle sent le rouge qui lui monte aux joues. Lexa n'a rien dit, n'a rien fait mais elle est là et ça suffit à mettre Misa dans tous ses états. Lexa, c'est la première fille dont elle est tombée amoureuse. La seule peut-être même. Lexa, elle l'a aimée dès le premier regard. Elle était tellement différente des autres. Unique. Lexa, elle lui parlait de temps en temps, bien trop occupée à rêver. Lexa, elle la regardait en classe. Ses yeux faisaient des aller-retour entre le ciel et elle. Lexa était son ciel terrestre, sa galaxie. Les yeux envoûtants, Misa avait bien du mal à aligner plus de trois phrases en sa présence. Lexa, c'est le trouble. L'amour des femmes caché, secret, enfoui en Misa. Mais Lexa, elle fait tout ressortir. La peine de ne pouvoir lui avouer ses sentiments, de la regarder avec d'autres, de voir sa silhouette s'éloigner sans pouvoir la rattraper. C'est ça Lexa.

Et aujourd'hui, elle affronte à nouveau ce sentiment de n'être rien. Seulement un fantôme, un visage qui devient flou rapidement. Qui s'efface comme il est venu, qui disparaît. Misa, l'invisible. Son prénom sur les lèvres rouges de Lexa. Peut-être une des seules fois où il en sortira. Parce que personne n'appelle Misa. Personne. Lexa se souvient peut-être d'elle après tout. A moins que son prénom soit sorti au hasard. Misa baisse les yeux aux paroles de Lexa. Elle non plus. Non, elle pensait avoir mis ceci de côté. Ouais, les femmes. Les femmes qui l'attirent. Celles qu'elle peut aimer. Parce que depuis des années, Misa n'aime pas. Misa oublie les gens et ils font de même. Elle ne s'autorise pas à admirer les courbes célestes, les lèvres désirables. Non, elle ferme les yeux, regarde ses pieds, pas la réalité. « Moi non plus... » arrive t-elle à sortir, sans vraiment y penser. Le trouble prend possession d'elle, comme toujours. Et la main de Lexa sur son bras, son sourire. Rien de tout ça n'arrange Misa. Elle sourit, timidement. Lexa l'intimide. Les sentiments du passé aussi.

Surtout qu'elle lui propose son aide. Et sentant le regard du sugar daddy derrière elle, Misa sait très bien qu'elle ne peut qu'accepter. Ça l'éloignera de lui un instant. « Avec plaisir. Je ne m'y connais pas trop. » Misa ose affronter le regard de Lexa. « Tu travailles ici depuis longtemps ? » arrive t-elle à sortir miraculeusement. Sauf que cette fausse confiance s'envole en entendant le rire de Lexa. Elle fond lorsque sa main glisse contre son bras. Misa se sent comme une poupée de chiffon, fragile, comme si Lexa était un ouragan qui allait l'emporter sans qu'elle ne puisse rien y faire. « Je dois trouver des chaussures pour une soirée. On vient d'acheter la robe. »