Il avait une envie irrépressible de crier, ou peut-être juste de s'enfuir. Courir loin, très loin de cette pièce ou désormais se trouvait à quelques mètres de lui la source de ses maux, et pas n'importe laquelle. C'était la sœur de son meilleur ami, mais aussi et surtout son crush en fait. Ça faisait plusieurs années qu'ils se connaissaient, mais c'est avant-hier soir qu'il avait eu sa révélation lorsqu'il mangeait ses chocapics ; il était amoureux et ça lui avait coupé l'appétit. Il était trop bête de s'en rendre compte que maintenant, parce que c'était probablement évident ! Son envie de lui parler de bébés phoques lorsqu'il la voyait, son obsession à vouloir savoir si elle aimait les chiffres pairs, ou même son étrange passe-temps à compter les pellicules dans ses cheveux, tout les signes étaient là bon sang ! Il la kiffait grave quoi.
Et maintenant qu'il le savait c'était super bizarre, il savait plus comment se comporter avec elle, et comme si le destin avait décidé de lui mettre des bâtons dans les roues, lorsqu'il s'apprêta à aller chez Keishi celui-ci déserta la maison, le laissant nez à nez avec sa sœur. Alors voilà. Il voulait vraiment être invisible aujourd’hui et l'éviter, parce que lorsqu'on est amoureux de quelqu'un que faut-il faire ? Takuya était un tel handicapé social que l'amour que mis à part ce qu'il y avait dans les bouquins ne s'y connaissait pas trop. En effet, même si en tant que bon psy la théorie c'était probablement son fort, dès lors que l'on s'attaquait à son cas personnel c'était la catastrophe. Mais heureusement pour lui, il se rappelait probablement des conseils qu'il avait reçu d'une octogénaire à savoir : « attirer son attention et la faire rire » du coup, forcément vu la vitesse à laquelle cogitait l'esprit du psychologue il allait forcément trouver La réplique pour se sortir de cette situation embarrassante. C'est alors, que lorsque l'éclair de génie lui parvint, il lui demanda : « Tu crois que les sourds ils ont un signe pour se dire "ta gueule" ? » Bingo. Si avec ça il n'avait pas gagné toute son attention.... Quel génie ce Takuya.
Bon sang. Être star, c’était pas facile tous les jours. Les paparazzis, les photos… Devoir constamment être parfaite. Bon, elle l’était déjà un peu de nature, parfaite, et ça aidait pas mal mais… Mais quand même, ce n’était pas suffisant. Elle devait s’affamer, faire du sport, tous les jours, à un rythme effréné. Être gâté par la nature n’était qu’un coup de pouce : son physique agréable, son argent, son père qui assurait ses arrières… Il fallait tout de même qu’elle y mette du sien. Et là, elle était euphorique, oui, littéralement euphorique à l’idée d’enfin rentrer à la maison après une dure journée de labeur. Les fleurs et les paillettes de la vie de célébrité étaient bien loin.
Son chauffeur s’arrêta devant la grande bâtisse des Sato. Elle espérait ne pas croiser ce bon à rien d’Eiji… Encore Keishi elle n’avait aucun problème avec mais Eiji… Beurk. Sûrement adopté, ce type. Ou trouvé dans une poubelle. Mais pas son frère. Elle refusait de se résoudre à cette idée. Ses conneries étaient relayées par la presse, lui retombaient dessus… Heureusement que les médias avaient fini par décider qu’Eiji était simplement la mauvaise graine des Sato et Ringo l’ange des Sato, de quoi lui retirer une épine du pied. Et, à son grand soulagement, elle ne croisa pas cet être démoniaque… Ni même Keishi, tiens. Mais son meilleur ami. Takuya. Si elle le connaissait ? Evidemment. Elle le connaissait même plutôt bien. Un spécimen unique, il ne devait pas y en avoir deux comme lui sur cette planète. Pour être particulier, il était particulier. Mais sympathique. Elle l'appréciait, c'était un gentil garçon. Poliment, elle le salua, l’invitant à s’asseoir et demandant à un domestique de leur ramener quelque chose à boire. Du jus de fraise comme souvent, pour elle, et… Et quelque chose de particulier pour Takuya dont elle le laisserait décider. Car il était particulier, voilà. Puis le silence s’installa. Parce que franchement, à part salut, elle ne savait pas trop quoi lui dire… Jusqu’à ce qu’il décide de briser le silence. En lui demandant si les sourds avaient un signe pour ‘’ta gueule’’… « Euh… » Inattendu là. C’était inattendu. Elle passa sa main dans ses cheveux, réfléchissant un peu, avant de se tourner vers lui. « J’ai vu ça l’autre jour à la télé… Je crois que c’est comme ça. » Elle lui indiqua tant bien que mal le signe, tout en lui souriant. « Pourquoi ? Tu t’intéresses à la langue des signes ? Tu l’apprends ou... ? » Elle essayait de faire la conversation, comme elle pouvait.
Les yeux ébahis, il la regardait comme si elle venait de réaliser l'improbable. Ses mains et ses doigts gesticulant d'une manière improbable, celle-ci répondit avec assurance au psychologue. Il lui avait juste dit ça pour meubler sans s'attendre à une quelconque réponse, habitué autant par elle que par son frère à se prendre des vents. Du coup il tombait des nues, parce que oui, pour lui c'était probablement impossible qu'un sourd puisse demander à un autre de se taire quoi, c'était pas comme s'il pouvait entendre ou parler. Un peu comme l'hypothèse qu'il puisse tomber amoureux, c'est bizarre, improbable et pourtant ça existait. Espèce en voie de disparition avec une libido aussi active que celle d'un Panda, voici Takuya.
« WOUAH. » Et comme un petit enfant, il avait les yeux qui brillaient d'admiration pour celle qui lui avait volé son cœur. Et en même temps, il était trop fier parce qu'après tout ça la rendait encore plus parfaite. Elle était belle, intelligente et super cool quoi. Si jamais il y avait un sourd qui arrêtait pas de lui parler et d'être trop chiant bah elle pourrait lui dire de se taire puis après faire un hairflip magistal comme une diva. Balèze. « M’intéresser ? Oui enfin... non, enfin oui sûrement…pas ? » Oui, non, en fait il était plus très sûr de sa réponse. C'était comme le repas d'hier soir, il était persuadé d'avoir mangé un truc cool, mais il ne se rappelait plus ce que c'était exactement. Bah là pareil, il savait que le langage des signes ça l’intéressait, mais pour quelle raison… Mystère. Ah si ! Probablement que dans sa pile de bouquin il devait y en avoir un qui s’appelait "la langue des signe pour les nuls" et du coup comme le contenu était forcément lacunaire il voulait en savoir plus parce qu'il avait des tonnes de questions sans réponses « une curiosité éphémère, c'est comme hier je me demandais si les poissons pouvaient avoir soif. » Il fit la moue, légèrement gêné comme il se rendait compte pour une fois des idioties qu'il déblatérait puis il s'écria : « Du coup ça me fait penser à un truc ! Il y a une grand-mère que j'ai consulté hier qui est fan de toi ! Y a moyen que tu lui signe un autographe ? » Y avait il un sens logique à cette conversation ? -Non. Aussitôt avait-il fini de prendre la parole que ses joues s'empourprèrent parce qu'après tout c'était assez gênant de lui demander ça, mais aussi parce que depuis hier tout avait changé. Désormais, dès qu'il croisait son regard son palpitant le picotait et des papillons naissaient dans son ventre.
Même les sourds avaient droit au silence. Pas le même silence que les non-sourds, mais… Droit au silence. Droit à un « arrête-toi de faire des signes, je ne veux plus communiquer avec toi ». Du moins, c’était ce que pensait Ringo, et elle n’était visiblement pas la seule puisqu’il existait bel et bien un signe pour signifier à un autre d’arrêter toute communication. Elle sourit, en voyant la réaction de Takuya. Il la regardait comme si elle était la septième merveille du monde, ce qui l’amusa. Bah quoi ? Elle était plutôt contente de pouvoir l’impressionner ainsi. C’était pas tous les jours qu’elle impressionnait des gens avec des capacités intellectuelles, habituellement on ne portait attention qu’à son physique… Ca lui changeait pas mal.
Lorsqu’elle lui demanda si ça l’intéressait, la réponse de Takuya fut à son image… Weird, confuse. Et ça ne l’étonnait même pas. Elle se contenta de sourire, l’air de rien, hochant la tête. Mais elle ne put s’empêcher de pouffer un peu, laissant échapper un rire légèrement moqueur, en entendant la suite. Il se posait des questions existentielles improbables, le japonais : si les poissons pouvaient avoir soifs… Comment faisait-il au juste pour en arriver à de tels raisonnements ? Ce p’tit gars l’étonnerait toujours. Il avait au moins le mérite de lui changer franchement les idées, lui. « Omo… Sérieux ? Une grand-mère ? J’ai des fans même parmi les grands-mères ? J’sais pas comment je dois le prendre, ça… » Elle rit, amusée. Eh bien, elle pouvait au moins se dire que son public était large, très large, et qu’elle ne laissait personne indifférent. Elle ne se doutait pas une seule seconde que Takuya faisait partie de ces personnes qu’elle ne laissait pas indifférentes, évidemment. « T’as un papier ? Ou tu veux peut-être que je le lui écrive sur une photo ? Elle s’appelle comment ? » Elle sourit, le regardant. « En tout cas, c’est gentil de ta part de te soucier autant de tes patients. T’es un bon type, Taku. » Elle lui adressa un clin d’œil.
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