Glenn&Aiyana ~ suicide is painless

Assis dans le métro, je dressais sur mon carnet de notes la liste des choses qui me retenaient à la vie. Ma famille. Mon métier. Mes morts. Mon manga. J'avais eu l'espoir de trouver quelque chose à quoi me raccrocher. Ça faisait plusieurs semaines que j'étais de nouveau en crise suicidaire. Mais cette fois, j'avais décidé de passer à l'acte. J'allais me jeter à l'eau, mort par noyade. J'avais laissée une lettre dans la boite aux lettres de chez mes parents en précisant le lieu où j'allais me tuer, afin qu'ils puissent avertir la police, qui avertiraient les pompes funèbres, qui retrouveraient un corps en bon état.

Tant pis pour le reste, ma famille allait apprendre à vivre sans moi, songeai-je en arrivant au bord du pont. Je contemplai le reflet de la lune dans l'eau. C'était beau. Ça me rappelait une scène de mon manga, le premier baiser des deux personnages principaux. Une scène que j'avais galéré à dessiner tant je voulais qu'elle soit parfaite.

Désormais, tout ça appartenait au passé. Je me remémorai ma dernière tentative de suicide. La voiture roulait à 50km, elle m'avait fauché, je m'en étais malheureusement tiré, avec plusieurs fractures. Ça avait été un choc pour mes parents quand le psychiatre aux urgences avait annoncé qu'il s'agissait d'une TS. Ils allaient revivre la même scène, mais je m'en fichais.

J'avais bien trop envie de rejoindre mes morts pour me soucier du reste.

J'admirais le paysage une dernière fois. Les cerisiers, l'eau, les étoiles. C'était beau. Le Japon était vraiment un beau pays. J'avais voyagé à plusieurs endroits, mais j'avais toujours préféré le Japon. Je me demandai si le pays du soleil levant m'aurait autant attiré si j'étais né à l'étranger. Pour moi, ce pays était le mien, bien que je n'avais pas la nationalité. J'étais américain par le sang, japonais par le cœur.

Drôle de moment pour penser à ce genre de chose. Je repensais aussi à mon enfance, à la joie qui régnait dans ma famille. Puis un jour, pendant mon adolescence, tout avait dérapé et j'étais devenu ce que j'étais aujourd'hui, sans pouvoir l'expliquer. Dans ma lettre d'adieu, posée en évidence sur la table du salon, je disais simplement que j'étais désolé d'avoir existé car si je n'étais jamais né, mes parents n'auraient pas connu la souffrance de ma mort, et que je voulais être enterré dans le cimetière où je travaille, aux côtés des morts dont je m'occupe tous les jours. Je disais aussi que je voulais qu'on mette du X Japan. Forever Love. Comme aux obsèques d'hide.

Une voix me tira de mes pensées. Je tournai lentement la tête. Une jeune femme noire, visiblement une touriste. Elle avait un appareil photo autour du cou. Si c'est pour me dire de bouger de là où je suis, ce n'est pas la peine., dis-je simplement, d'une voix calme et décidée.

"Non, c'est pas ce que je vous voulais vous demander. Je me demandais juste si vous pourriez attendre un instant avant de sauter. Je suis photographe et je suis spécialisée dans les photographies chocs. Je capture des moments fatidique de la vie des gens. Alors si vous pouviez attendre que je prenne une photo avant de sauter, ça serait aimable de votre part." Je ricanai en l'entendant débiter de pareilles inepties. Elle croyait vraiment qu'elle était crédible ? Je doutais fortement qu'il existe des photographes qui s'amusaient à photographier des suicidaires. Qui plus est qui leur demandait de ne pas sauter avant qu'ils n'aient pris leur photo.

Elle cherchait une excuse, voulait jouer aux super-héros et m'empêcher de sauter. J'avais pourtant bien prévu et organisé mon suicide. J'avais fait du repérage pour trouver un pont où j'avais très peu de chances de croiser du monde. Et bien il avait fallu que je tombe sur quelqu'un le jour J alors que les trois premières fois, je n'avais pas croiser un chat.

Sinon, j'peux sauter, j'suis sûr que ça te fera une magnifique photo. T'as une carte prouvant que t'es photographe ? Non. Alors fous-moi la paix, sois gentille et continue ton chemin. Y a rien à voir., lançai-je en la regardant du coin de l’œil. Sérieux, j'ai tout bien organisé depuis une semaine et demie, alors laisse-moi disposer de ma vie comme je l'entend.

Je l'écoutais d'une oreille distraite et fatiguée déblatérer son discours tout fait. On croirait ma psy, sérieux. En dix fois plus agaçante. Les gens qui se sont fait quittés, qui ont perdu leur emploi, leur appartement, qui sont malades et condamnés à la mort et qui continuent de se battre, il y en avait des tonnes, et alors ? Je m'en fous de ce qu'ils ont décidés de faire. Ma vie, c'est ma vie, un point c'est tout.

Elle commença à parler de Jésus. Oh putain, j'étais tombé sur une croyante qui allait à la messe tous les dimanches matins. Il ne manquait plus que ça. Mon chemin avait croisé celui d'une illuminée qui croyait qu'en me parlant de fiction, j'allais changer mes plans pour se soir.

Elle dit que je n'avais sûrement rien à faire de mes parents. Ouais, elle avait peut-être raison. Seul mon métier comptait réellement pour moi. Et entre continuer à travailler avec les morts et les rejoindre, mon choix était vite fait. Enfin, elle finit par se taire.

Elle soupira. Je l'imitai. Après un long soupir d'agacement, je lui répondis Si tu savais à quel point tu me donnes encore plus envie de sauter. Ne serait-ce pour ne plus l'entendre sortir de pareilles inepties que le soi-disant parcours de Jésus, un illuminé, tout comme elle. Mais bon, j'avais tout de même un minimum de respect envers les croyants, puisque mes parents l'étaient.

J'avançai d'un pas. J'étais juste au bord, il suffirait d'une perte d'équilibre pour que je tombe. Tu perds ton temps. Va continuer de faire la touriste, y a plein d'autres trucs intéressants à Tokyo. Au pire, rentre dans ton pays, repars vivre dans cette misère que tu sembles tenir dans ton cœur. Oui, ce que je disais était parfaitement raciste. Non, je n'en n'avais strictement rien à faire. Elle avait qu'à me laisser tranquille. Je n'avais qu'à avoir sauté plus tôt.

Vous n'avez vraiment rien dans le crâne. Comment vous faites pour être aussi con ! Je soupirai longuement en la regardant d'un air lassé, lui disant du regard T'as qu'à me laisser sauter je suis si con que ça!, mais je n'en dis rien à haute voix. À la place, je sortis En prenant exemple sur les cons qui se prennent pour des héros d'un jour!, assez énervé. J'avais prévu de sauter, pas de faire la discussion à une touriste.

Vous auriez pu vous suicider chez vous. Ça nous aurait éviter d'avoir cette conversation, vous savez? Ici est un lieu public. J'ai jamais compris ces mecs qui se suicident dans des lieux où quelqu'un est susceptible de les voir. C'est à se demander si ils en ont vraiment envie. Elle était vraiment lourde. Sérieux, elle me donnait encore plus envie de sauter. Qu'est-ce que j'attendais pour le faire, d'ailleurs ? Et comment pouvait-elle remettre en question ma volonté ? Elle se prenait pour qui ? Et elle me prenait pour quoi ?

Tu veux que je te prouve si j'ai vraiment envie de me suicider ? Attends, je vais te montrer. Joignant le geste aux paroles, je m'approchai encore plus du bord. J'avais le bout des chaussures dans le vide et la gorge qui commençait à se serrer. Réaction normale, de commencer à angoisser, si proche de la mort.

C'est vraiment stupide ce que vous faites. Je soupirai une énième fois. Elle avait avalé un perroquet ma parole ! Ou alors elle me prennait vraiment pour un con. J'optais pour la seconde option. Elle me reprochai mes actes, alors que c'était elle qui me poussait à avancer.

Et puis si vous vouliez vraiment vous suicider je crois bien que vous auriez déjà sauter. Je crois même que  vous auriez même eu le temps d'entendre un mot sortir de ma bouche. Elle n'avait pas autre chose à faire ? Sérieux, il y avait plein de trucs à faire pour une touriste à Tokyo le soir. Même moi qui avait toujours vécu dans la ville, je n'avais pas encore tout fait, loin de là.

Puis, il y eut la prise de conscience. J'entendais des sirènes au loin, depuis plusieurs minutes. Et là, je réalisai que les lumières se rapprochaient drôlement. Le regard de la touriste alternait entre moi et la voiture. Je grimaçai, réalisant que je m'étais monumentalement fait avoir. Le temps qu'elle la regarde, je sautai. C'était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase.

La chute me parut à la fois interminable et extrêmement rapide. C'est dans ces moments-là qu'on ne sait plus ce qu'il se passe autour de soi, où l'on essaie de trouver un sens à ce qu'il se passe. Je ne savais même plus si je m'étais laissé tombé volontairement ou si j'avais perdu l'équilibre. Tout ce dont j'étais sûr, c'était que cette fois, j'avais gagné, j'avais réussi mon coup. Personne ne pouvait agir désormais.

Je heurtai la surface de l'eau, fermai les yeux au moment où j'arrivai dans l'eau et me laissai couler, luttant pour ne pas instinctivement me débattre au moment où je commençai à ne plus avoir de souffle, commençant à me noyer. J'avais de plus en plus de mal à respirer, en manque d'air. Puis tout finit par disparaître, plus la moindre sensation.

Et soudain, je me retrouvai dans une arène pokémon, un pikachu, un skélénox, un pingoléon, un lockpin, un papillusion et un togekiss avec moi. Le champion d'arène me remettait le badge, la CS et fit son blabla habituel. Puis, suivit de mes pokémons, je partis les faire soigner au centre pokémon. Tout me semblait tout à fait normal.

La théorie du coma de Sacha, la théorie du coma de Glenn qui a raté son suicide car on est venu le sortir de l'eau mais qui est pour l'instant toujours pas sorti d'affaire.

La théorie du coma de Glenn, plus qu'une théorie.