wasted & confused | shin&mai

Généralement, avec elle-même, Mai est une personne de parole. Du moins, elle aime bien se voir comme ça, peut-être pas comme une nana dotée d'une pieuse morale kantienne mais comme quelqu'un qui dit des trucs et s'y tient, parce qu'elle parle souvent en l'air mais s'astreint rigoureusement à ses propres directives. Le bail de ce soir, c'était un verre. Un verre, et elle rentrerait chez elle, parce que les examens de la semaine à suivre n'attendraient pas qu'elle se remette d'une gueule de bois. Croix de bois, qu'elle avait fait en levant sa main droite dans laquelle siégeait son éternel joint, celui qui semble jamais s'user, à moins qu'elle le roule à nouveau tous les quarts d'heure.

Et justement, en acceptant de rester pour juste un verre Mai ne s'était pas attendue à signer un pacte avec le diable.

Trois heures du matin, la demoiselle plonge le nez dans le quatrième verre, se redressant péniblement de l'épaule de Shin contre laquelle elle s'est affalée pour ne pas s'étouffer avec la boisson. Si elle plisse les yeux, elle peut apercevoir les silhouettes de leur cercle d'amis, et d'autres un peu plus floues ; elle peut entendre leur voix animées et celle de son meilleur pote, un peu plus lente, un peu plus rêche par l'excès de clope. Des mots impossibles à détacher et des phrases qu'elle n'a pas la force de reconstituer, perdue entre la contemplation d'un sofa rouge décoloré par l'âge et celle de pensées qui se bousculent sans ordre ni cohérence. Nouvelle gorgée et elle reprend sa place contre l'épaule de l'aîné, laissant ses boucles brunes tomber en cascades désordonnées contre son t-shirt.

Profonde inspiration pour s'embrumer le cerveau des relents de clope, de cannabis et du parfum de Shin. Ça pue l'alcool, ça pue l'ennui ; les gens face à eux sont trop défoncés pour tenir un discours cohérent et Mai les contemple comme des bêtes de foire qui ont déjà montré tous leurs tours. Ça laisse un goût salement amer sur ses lèvres ; plus que le whisky qu'elle va bientôt terminer et elle devrait rentrer, ça fait trois heures qu'elle se le rabâche.

Mais elle n'a pas envie d'être seule non plus.

Ça lui vaut tous les efforts du monde de se redresser et de lever son bras pour secouer Shin en attrapant son t-shirt dans son poing. La tentative est plus faible qu'elle ne l'aurait voulue mais suffit à attirer son attention. « On y va ? » La demande est faite à mi-voix, entre l'ordre et la supplication. Elle trébuche sur ses mots mais se force à continuer : « J'ai la dalle. » J'ai envie d'me tirer, loin, n'importe où.

Enfoncé dans un fauteuil, le bras passé autour des épaules de Mai, il balaie des yeux la pièce, distraitement. Il le savait que cette soirée sentait l’échec, mais il avait voulu lui donner sa chance et tout simplement être un peu naïf pour cette fois. Mais visiblement les mauvais pressentiments ne mentent jamais, la seule raison pour laquelle ils sont restés aussi tard se résume à bibine et bédo. C’est fou le pouvoir qu’ils ont à rendre tout un peu plus amusant. Parce que vraisemblablement la musique n’est pas si bonne que ça. Donc du mieux qu’il peut il suit la conversation ; ça cause, ça se marre. Il a juste à tourner la tête pour voir Mai affalée sur son épaule mais il ne fait rien tout de suite, trop occupée à dire des choses qui n’ont pas de sens.  

Puis la seconde fois, il sent sa main un peu insistante s’agripper à son t-shirt, serait-ce le signal pour partir ? Quand elle se met à parler il hoche doucement la tête et ébouriffe légèrement les cheveux de la jeune femme tout en se redressant. D’un bref signe de la main, il annonce son départ, aucun regrets à l’horizon mais peut être que ses jambes n’étaient pas prête ? Il lui faut quelques secondes pour que son corps comprenne qu’il est à nouveau en marche, alors il ne se presse pas trop pour sortir, mais une fois prêt, il descend les escaliers c’est un jeu d’enfant.  Il passe devant sa voiture avant de lancer d’un ton las à haute voix ;

Shin – Pas de Sam pour nous sauver ce soir, mec ! Il tapote légèrement la voiture en passant tout en ajoutant un juron en coréen qu’il accompagne de J’vais devoir la récupérer ici demain...

Et le chemin serait long. Il pouvait déjà s’imaginer prendre un taxi et galérer un moment avant de finalement récupérer sa bagnole, si elle restait dans le même état. Un soupir quitte ses lèvres alors qu’il arrange sa veste en cuir à cause du froid qu’en réalité il peut à peine sentir. Il fouille ses poches en se remémorant les paroles de Mai.

Shin – J’ai ap de thune sur moi Mai… Et toi non plus… Il pose son attention sur la jeune femme et la regarde sans doute un peu trop longtemps pensant sans doute qu’elle va les sortir de là, mais peut être qu’il espérait trop ? Il passe distraitement la main derrière sa nuque et détourne le regard un instant pour scruter le trottoir en lançant Ok, j’ai peut être une idée…


En général, c’est tout le temps comme ça que les ennuis commencent, avec ce sourire en coin presque contagieux. Oh, il sait, il suffit d’un regard pour que la connerie se transmette. Puis soudainement son sourire s'estompe et il ajoute alors ;


Shin - Reste pas là à me regarder comme ça ! Ce conbini qui ferme jamais pourrait fermer...


Du sarcasme, même dans une situation pareille.


Shin - Bon, mais il nous faut un cadis... Parce que très franchement, quand il faudra courir, Il la regarde un bref moment et se retient de faire d'éventuel reproches, pour son propre bien physique ...Non non. Peu importe...


Il avait lu quelque part que les femmes bourrées étaient dangereuses, qu'il valait mieux leurs dire ce qu'elles voulaient entendre. Mais Shin n'étant pas doué pour deviner dans un état pareil, il préfère ne pas dire ce qu'elles ne veulent pas entendre, parce qu'il a encore sa conscience par-ci par-là, qui se promène dans son esprit trouble.

Le vent de l'extérieur l'avait frappée comme une vague de soulagement, de quoi la réveiller un peu après plusieurs joints et quelques verres un peu trop remplis. Elle se sent encore tituber un peu après la descente d'escaliers plus que rude, mais retrouve peu à peu ses sens, ses mains toujours gelées se rappelant à elle avec un peu trop de violence et elle aurait presque senti son épiderme craqueler en serrant les poings à ses côtés pour ne pas claquer des dents. De froid, de drogue, de mal-être général.

Devant elle Shin avait repris les commandes. Beaucoup plus alerte, agile, tapotant sa caisse avec une espèce d'affection dont elle se moquait toujours – pas ce soir. Le garçon adresse quelques mots à la voiture, peut-être à elle mais Mai ne réagit pas. Elle garde ses prunelles rivées sur son dos large un instant, jusqu'à ce que son silence soit remarqué.

« J’ai ap de thune sur moi Mai… Et toi non plus… »

Ils se fixent sans un mot et la Japonaise hausse un sourcil. Quoi, il attend qu'elle lui donne des idées dans son état ? La seule qui traverse son esprit embrumé c'est rentrer à pieds et celle-là, elle ne compte pas la sortir. Elle attend presque que Shin ne le fasse parce qu'au fond, elle est presque sûre qu'il n'en aura pas de meilleures, lui non plus. Et ce ne serait pas la première fois. Alors, quand il relève le chef et lui balance ce sourire qu'elle connaît un peu trop bien, Mai se sent entre la réjouissance et une espèce d'inquiétude propre à leurs conneries. « Que de suspens. Abrège. » Son ton est excédé et pourtant elle n'arrive pas à retenir son propre sourire.

Le plan, c'est donc voler deux-trois trucs dans la supérette et rentrer à toute vitesse jusqu'à l'appartement de Shin. Rentrer en caddie, en tout cas, et la pique ne lui échappa pas : « La ferme, t'es tellement grand que tu vas t'entraver dans tes jambes si on court. » Elle tire de son sac son paquet de clopes, en glisse une entre ses lèvres pour en passer une à Shin afin de tenir les quelques minutes de marche jusqu'au konbini. Elle vérifie en vitesse son porte-monnaie – vide. Tant pis. Elle se remet en marche et se met à chantonner Drunk in the Moon de John Pizzarelli pour aller avec l'ambiance. Brève interruption. « Tu pourrais me prêter une veste ou quelque chose, connard », qu'elle lâche à l'encontre du jeune homme, puis se remet à chantonner. Pique habituelle, vaccin contre sa peur du silence.

Le chemin est beaucoup plus bref que ce qu'elle n'aurait pensé et elle jette son mégot par terre avant d'entrer dans la supérette pour lancer un long bonsoiiiir. Bien vite la brunette s'engouffre dans les rayons avec son partenaire de crime. « Tu veux manger quoi ? » Ses regards vaquent entre les chips, les Pockys et autres conneries qui ne lui font bizarrement pas envie.  « Moi je veux des yaourts. Une putain de montagne de yaourts. Ceux au caramel, pour foutre des céréales dedans. T'as des céréales ? J'veux me faire péter le bide avec des céréales. »

Au ton railleur de la jeune femme, un fin sourire vient s’installer sur ses lèvres alors qu’il s’approche pour profiter du briquet de la concernée. Il la remercie dans un hochement de tête et tire une longue latte avant de se rendre compte de l’état de Mai qui doit être frigorifiée et en effet la remarque ne tarde pas avant d’arriver, avant même qu’il n’ait le temps de faire quoi que ce soit.

Shin – Tu peux toujours crever de froid, tapin, il lui envoie alors un baiser de la main avec le nuage de nicotine qui s’échappe de ses lèvres.

Secouant doucement la tête, il enlève tout de même sa veste en cuir avant de venir la poser distraitement sur la tête de la concernée. Puis de toute façon il n’a pas froid, même en t-shirt… Peut-être qu’il en paiera les frais demain, rien n’est encore sûr. Il leurs faut quelques minutes avant d’arriver à destination et le jeune homme se dirige vers les cadis. Il insère une des seules pièces qu’il doit avoir sur lui et se dirige dans un rayon en compagnie de la jeune femme. Il hausse les épaules en guise de réponse, pour être honnête il n’a pas si faim que ça, mais il ne mangera certainement pas des yaourts. Tient, c’est bien la seule chose qu’il ne doit pas y avoir dans son frigo à l’heure actuelle. Des yaourts. Depuis quand il déteste ça, si ce n’est pas depuis toujours ? Il ne peut empêcher cette expression légèrement désapprobatrice sur son visage.

Shin – Je vais sans doute commander une pizza mais-… Si ça peut aider ton ventre est déjà en train d’exploser, pas besoin de tant d’efforts ma belle. Il dit avec un faible sourire avant de tapoter le côté droit du cadi et ajouter Je déconne, aller, monte dans le cadi avant que je change d’avis.

Il s’arrête un instant avant d’aller dans le rayon frais à contre cœur et prendre les articles en question pour la jeune femme avant de les lui tendre sans enthousiasme. Et alors, il se dirige dans la partie où il y a toutes ces sucreries pour mettre des marshmallows, des bonbons en tout genre et surtout des Pocky. Espérant naïvement que cela lui fasse oublier l’espace d’un instant ses cigarettes chérie. Cependant l’espoir n’était pas grand sur ce coup là. Il tapote alors l’épaule de la jeune femme dans le cadi et lance alors ;

Shin – Prête pour un petit tour de manège ?


Il contourne minutieusement le rayon près de la sortie. Il lève alors les yeux vers la femme à la caisse et regarde alors si la caméra est allumée. Elle n’a pas l’air d’avoir fonctionné depuis des siècles alors il se met à jouer de son sourire, depuis qu’on lui a dit que cette connerie marchait, il l’utilise de temps en temps. Sans excès du moins. Ca blablate, et blablate, ça marque un faux numéro de téléphone, probablement celui d’un pote, ou d’un total inconnu. Puis alors quand il renverse « accidentellement » son café, il profite du moment où elle part chercher de quoi nettoyer tout ça pour partir d’un pas tranquille au départ, en poussant le cadi. Puis une fois sorti de là, il se met alors à courir dans la rue déserte avec le cadi dans les mains.


Shin - Bon... Il dit un peu essoufflé... C'est la dernière fois qu'on fait ça je-

Caissière - Attendez ! Arrêtez vous !


Et il ne lui en faut pas plus pour se remettre à courir.