Girls Don’t Cry | Abe Mayuko

C'était, comme c'était pratiquement toujours, une journée plutôt calme. Un jeune homme nerveux qui avait oublié la fête de sa mère, un couple d'époux qui avaient demandé une rencontre pour évaluer les besoins floraux de leur futur mariage, et deux petites filles qui étaient venues acheter une tulipe chaque pour aller donner à une amie qui était à l'hôpital suite à un accident. Les parents avaient été charmés par la boutique et avaient promis de recommander l'endroit, ce qui était une bonne chose. Les affaires lui importaient peu, vraiment, mais elle savait qu'elle avait besoin de faire rouler la boutique pour garder son emploi, alors le bouche à oreille était sa meilleure façon de faire de la publicité. Le propriétaire n'était pas là -quand l'était-il, réellement ?- et ce n'était bien que parce qu'elle était douée pour l'art floral qu'il arrivait à garder pignon sur rue à Meguro. Ce qui expliquait pourquoi elle travaillait autant, d'ailleurs, mais ce n'était pas pour lui déplaire.

Elle avait par contre tout de suite compris que le calme de sa journée allait probablement chavirer quand sa nouvelle cliente passa la porte. La pauvre femme était dans un état plutôt lamentable, et c'était peu dire, et elle se dirigea par automatisme au travers des étagères de fleurs et de montages faits par ses soins. Comme elle n'avait pas encore terminer la liste d'inventaire qui lui était nécessaire pour commander ce dont elle avait besoin, elle laissa quelques minutes à la femme pour trouver ce qu'elle cherchait, sans quoi elle irait proposer son aide.

Mais après une dizaine de minute, la femme était toujours devant l'étalage de tulipe, et malgré l'inconfort qu'elle ressentait au fond de l'estomac, mayuko lâcha un léger soupir, prenant son courage à deux mains et déposa la liste d'inventaire pour se diriger vers elle. Elle avait déjà aidé des veuves éplorées, mais c'était toujours un peu malaisant à un certain niveau, de voir quelqu'un d'aussi émotionnellement affaibli tenter de choisir des fleurs pour des funérailles. Généralement, les gens préféraient commander les montages floraux ou les bouquets par le site internet de la boutique, ou appeler pour des informations, ainsi de suite. Mais bon. C'était tout de même son boulot de gérer ce genre de chose. « Bonjour, est-ce que je peux vous aider ? » dit-elle en approchant, lui laissant un moment pour réaliser sa présence avant de se retenter alors qu'elle tournait les yeux vers elle. « Bonjour, vous semblez hésiter. Puis-je vous aider ? » redemanda-t-elle un peu plus clairement, s'assurant cette fois qu'elle l'avait bien compris. Elle tenta de ne pas laisser ses yeux parcourir les traits tirés de son visage ou les larmes noircies sur ses joues, gardant un calme et une attitude professionnelle.

Elle n'osait pas trop parler lorsqu'elle admit finalement avoir besoin de fleur, ce qui était plutôt évident tout compte fait, mais ce n'était certainement pas une bonne idée de le lui faire remarquer, alors elle attendit plutôt patiemment la suite de son raisonnement et de ses demandes, tentant de se faire rassurante et calme en espérant que cela l'aide à se calmer un peu, du moins à arrêter de pleurer. Elle n'était pas la meilleure personne pour consoler les gens, et cela la mettait un peu mal à l'aise de devoir gérer une telle situation, mais en plus de ne pas avoir le choix, elle se sentait mal de laisser la femme à elle-même, alors qu'elle semblait éprouver de la difficulté à se ressaisir. La personne décédée devait être une personne très importante à ses yeux pour qu'elle réagisse ainsi, ou du moins c'était ce qu'elle pensait. Peut-être était-elle simplement très émotive de nature aussi, qui savait, mais elle n'allait certainement pas juger cette personne, ce n'était pas ce dont elle avait besoin, très certainement. Elle hocha simplement la tête lorsqu'elle continua, ne la quittant pas des yeux en signe de respect, même si elle avait cette tendance à les laisser se promener autours pour juger du meilleur assemblage à faire. C'était plutôt délicat, lorsqu'il s'agissait d'une mort. Il fallait arriver à faire un bouquet simple, digne, représentatif mais sobre. Elle retint un petit soupir et hocha la tête une nouvelle fois pour signaler sa compréhension.  « Bien sûr, suivez-moi, on va s'asseoir tout d'abord. » elle posa une main réconfortante sur son bras, la guidant vers l'arrière de la boutique, lui offrant un siège pour qu'elle s'asseoit le temps qu'elle sorte une boite de mouchoir qu'elle déposa devant elle, et un catalogue des fleurs qu'elle avait en boutique pour le moment.

« C'est pour une veillée funéraire ? » demanda-t-elle avec douceur, essayant d'en apprendre un peu plus pour faire un meilleur boulot, approchant une chaise pour s'asseoir à ses côtés plutôt que face à elle, sachant que la présence du bureau entre elles s'avéraient un obstacle à l'effort qu'elle faisait pour se montrer rassurante. Et puis c'était généralement plus facile de parcourir le catalogue côte à côte, alors c'était un plus. Elle lui laissa tout de même le temps de se remettre un peu de ses émotions avant de commencer à voir pour le choix des couleurs et des types de fleur, sachant que ce n'était pas facile pour quelqu'un en deuil de se concentrer sur quelque chose d'autre que son chagrin.  « Voulez-vous un verre d'eau ? Un thé ? »  

Elle était plutôt satisfaite de pouvoir constater l'effet plutôt positif qu'elle apportait pour le moment sur l'humeur de la jeune femme, qui semblait commencer à se calmer, ce qui était rassurant, en un sens. Elle hocha la tête sans poser de question lorsqu'elle lui offrit finalement quelques morceaux d'information de plus pour ce qu'elle cherchait. Elle ne savait toujours pas exactement ce qu'elle voulait, mais à force de tranquilité et de douce insistance, elle arriverait probablement à aider cette femme à trouver ce dont elle avait besoin pour donner ses respects au mort qu'elle souhaitait honorer. Elle se leva afin d'aller chercher un petit verre jetable et une carafe d'eau qui était à portée de main pour ce genre d'occasion, ignorant l'étrange regard qui lui paraissait presque admiratif qui la suivait alors qu'elle bougeait. Elle jeta un oeil aux pages qu'elle tournait, souriant en entendant son exclamation, posant sa main devant ses lèvres alors qu'elle essayait de ne pas rire, posant son autre main sur une page au hasard, tapotant l'image présente sous ses yeux, se penchant un peu vers le catalogue pour démontrer plus facilement ce qu'elle allait expliquer. Elle replaça une mèche derrière son oreille

« En fait, ce n'est pas si cher. » commença-t-elle avec un sourire, pointant le listing des fleurs utilisés pour le montage, ainsi que leur prix unitaire. « Sur les présentations ils utilisent généralement les fleurs les plus recherchées, ou exotiques, pour mettre le montage en évidence. Mais on peut obtenir un très beau montage en utilisant des marguerites et des arums blanches. Et alors le prix est coupé du trois quart, environ. »

Évidemment ce n'était pas aussi évident, les fleurs ne pouvaient pas toutes êtres travaillées de la même façon, mais elle avait apprit avec le temps quel genre de fleurs s'accordaient, et quel type des feuillages utiliser pour englober le tout de manière adéquate. « On peut faire aussi de simple bouquet, qui sont en démonstration à la fin du catalogue. » Elle tourna les pages rapidement pour trouver les bouquets qui étaient déjà beaucoup moins chers que les montages. « Mais si vous insistez, je peux toujours vous vendre un cactus. Par contre il ne résistera pas longtemps dans le climat japonais. » Elle lui offrit un sourire un peu plus agréable, plus amical, arrêtant son cheminement sur un bouquet blancs, composés de diverses fleurs. « Ce bouquet représente la naissance, en langage des fleurs. Vous pourriez peut-être me dire ce que vous voulez dire avec ces fleurs, que je puisse mieux vous guider ? »

Ce n'était pas bien difficile de remarquer que la femme ne s'y connaissait pas particulièrement bien en fleur, de ce qu'elle pouvait en juger, et tourna distraitement les pages du catalogue à la recherche d'un montage comprenant les arums pour pouvoir lui montrer ce que c'était exactement, son cerveau s'allumant immédiatement à la suite des informations qui lui étaient fournies pour activer ses méninges et trouver quelque chose de satisfaisant, respectueux, et personnel dans la mesure du décent. Elle tapota gentimment le coin d'une page d'un bouquet funéraire simple, composé d'areums et de campanules, qui était plutôt simpliste mais dans un très bon genre. Elle l'observa pendant un moment, ses yeux parcourant les prix et calculant les différences avec les fleurs qu'elle allait changer, tentant de trouver quelque chose qui pourrait lui sembler de bon prix, et qui serait suffisant pour exprimer ce qu'elle désirait dire comme dernier message à ce voisin qui paraissait lui tenir très à coeur. Elle se demandait comment la femme avait pu manquer la veillée funéraire, et visiblement comme elle avait demandé quelque chose pour une tombe, les jours de deuil familiaux aussi étaient passés. Mais elle se retint de passer le moindre commentaire, pouvant aisément lire sur son visage les regrets et la culpabilité qu'elle ressentait lorsqu'elle songeait à lui. « Les areums sont ces fleurs blanches à longues tiges, très simple, très utilisés pour les arrangements floraux. » Elle expliqua d'une voix légère, s'attardant sur un autre bouquet un peu plus fournis composé d'une multitude de fleurs différentes.

« Mais pour vous j'irais pour un autre type floraux. » Elle laissa son doigt traîner contre un exemple comprenant d'élégantes fleurs blanques à cinq pétales, et retourna quelques pages plus tôt sur le même montage comprenant les areums. « Les pervenches blanches... Avec les campanules, les petites fleurs d'un violet pâle. Les campanules représentent la reconnaissance, et les beaux souveniers représentés par les pervenches. Et des asphodèles pour l'immortalité après la mort. » Elle lui offrit un petit sourire de sympathie, laissant ses mains tomber contre ses propres jambes.

« Avec le bouquet adéquat, le message va être bien clair, et je peux vous promettre que je garderai ça dans le budjet que vous avez. »

Elle n'avait jamais eut bien du mal à lire les gens, c'était probablement l'un des talents qui l'avait le plus aidé lorsqu'elle avait débuté son boulot de fleuriste, et le si le langages des fleurs ne lui était pas inconnu, elle n'avait pas toujours pu en dire autant de sa compréhension des humains, parfois. Mais le langage corporel était plutôt évident chez certains, et elle pouvait facilement voir l'émerveillement ou l'indifférence qui illustrait aisément les préférences de ses clients en matière d'éléments floraux. Juger des besoins et intérêts des clients avait donc dès lors été plutôt facile pour elle, tout du moins en ce qui concernait son emploi, et c'était probablement la raison pour laquelle elle arrivait à garder son job. Comme c'était son premier boulot, elle voulait à tout prix le garder aussi longtemps que possible, pour paraître plus sérieuse lors de ses prochaines recherches dans le milieu du travail, mais elle devait admettre que l'endroit ne lui déplaisait pas, pour le moment, et qu'elle souhaitait y rester, même si une autre opportunité pouvait se présenter. Elle fut presque surprise lorsque la jeune femme lui posa quelques questions, jetant un regard autours pour s'assurer qu'il n'y avait personne d'autre, et jugeant qu'elle pouvait bien prendre quelques minutes pour discuter avec elle, ce qu'elle n'avait pas souvent l'occasion de faire. « Je travaille ici depuis presque huit mois, maintenant. » admit-elle tout d'abord, se redressant sur sa chaise en approchant le carnet de commande pour y noter ce qu'elle avait décidé pour le bouquet, puisqu'elle avait l'air enchantée par l'idée qu'elle avait donné.

« Et ce n'est pas particulièrement indiscret. J'ai 18 ans, j'ai débuté l'université cette année, alors j'avais besoin d'un boulot pour me tenir à flot. » Elle sourit en finissant de noter les noms des fleurs qu'elle allait utiliser, ainsi que les prix, et le code d'identification du bouquet pour ne pas oublier la base de cette commande. « Mais je dois admettre que j'ai toujours aimé les fleurs. ma... mère avait un grand jardin et c'est elle qui m'a apprit le langage des fleurs. J'ai toujours cru que c'était une façon magnifique de présenter ses sentiments à quelqu'un, peu importe à quel sujet. Vous voyez ce que je veux dire ? » fit-elle en tapotant l'image du bouquet.