never be the same (eiji)

les yeux fermés. une seconde. tu es seule. enfin seule. dans l’immensité de ce magasin qui livrent avec fantaisie et magie tout les plus beaux trésors du monde. étalages bondés de bijoux à la lueur qui captive. les gens s’arrêtent, admirent, dans un tumulte de cris brandis, de gestes bourrus et crus. les épouses accusent leur mari de ne pas leur offrir pareilles parures. les maris soupirent. et tout cela sous tes prunelles agacées. que de vaines occupations pour ces nobles gens.
mais tu t’amuses à les observer de ton oeil rieur. eux et leur visages parfaitement sculptés ; au profil si différent, pourtant si égal dans leur essence mais inébranlable dans leur destin.  
toute personne, ici en ces lieux parait avoir l’âme rêveuse, heureuse, aventureuse. mais au lieu de te réjouir, tu ne cherches qu’à troubler leur gaieté, les dénigrant avec entrain.
à travers les gens, à travers la foule, tu te fraies un chemin dans ce passage étroit de la grande porte à la petite porte. tu ne dois pas oublier ce pourquoi tu es ici. tu dois lui acheter cette maudite montre. c’est bientôt son anniversaire. ça lui fera plaisir. quelle joie. quel calvaire. tellement absurde. tellement ridicule. mais tu dois le faire, pas pour toi, mais pour papa.
dans un soupir épar, tu te perds dans ce vaste monde illusoire où tout semble plus beau, plus joyeux, où les esprits semblent insoucieux. tu cherches dans une terrible complainte la perle rare, celle qui saura faire vibrer ton coeur. et soudain, tu tombes amoureuse de cette beauté drapée dans les néons étincelants à en troubler la vue même du plus aveugle des passants.
« Madame a-t-elle fait son choix ? » oui, en vérité, celle-ci te plaisait. jolie mais discrète. sobre mais raffinée. le parfait alliage. « Je vais prendre celle-ci—»
quelque chose. non, plutôt quelqu’un, fit écho au son de ta voix.  
ton humeur vire au noir,
un sentiment de vide rattrapé par les vomissements de ton esprit étouffe ton être.
soudain, tes peurs revêtent ton âme muette.
tu as peur ;
peur d’une angoisse ingénue,
et quand tu te souviens, s’agite ton chagrin.
il est devant toi, le mal. il est devant toi, le doux parfum de ta peur.
tes yeux rencontrant les siens. toujours les mêmes.
et ce sourire identique à autrefois, se reflétant dans la brume de tes souvenirs fouettant ton visage. il envahit tes prunelles.
et sous ce masque, le souvenir, la blessure ;
face à lui, le sourire, la démesure ;
tu dois cacher cette fragilité, cacher cette abime ;
l’affronter dignement,
comme si le coeur s’en était bien remis,
comme si les souvenirs s’étaient soumis.

baptême de soupirs,
bouleversée,
suspendue aux moindres de ses mots.
tu te sens mal, le moral abimé par cette porte ouverte aux dégâts.  
il a réussi,
il a réussi à enfoncer ce passage de sa voix qui raisonne dans ton esprit, n’hésitant pas à exposer ce qui fut en toi autrefois enterré dans cet abysse profond,
sur cette terre du non-dit.
hélas,
il est devant toi, il respire encore,
celui qui pendant un temps avait causé en toi le plus grand tort,
celui qui a arraché tes racines et violé ton innocence.
ça fait mal,
encore et encore.
il te torture avec son sourire, te blesse par ses tournures de phrases pleines de malice.
et comme autrefois,
tu restes coite ne sachant que dire,
esprit engourdi et englouti dans l’impasse de cette ancienne vie.
tu aurais aimé oublier, à tout jamais ; au fond de toi, sublimer cet espoir était une question de survie.
mais aujourd'hui,
retour à la case départ,
le démon revient hanter ton quotidien.
coincée dans le malaise de ton propre silence,
tourmentée par de vilains maux qui tourbillonnent, et dans ton esprit tu t’envoles.
vertige.
silence.
vertige.
le vide.
un pas de trop, tu perds pied, tu perds l’équilibre possédée par une étincelle émotionnelle qui se nourrit d’un rien ;
la tourmente t’écoeure.
et de ta main caressant brutalement la devanture de verre, tu te ressaisis.
car aujourd'hui,
tu n’es plus la même,
tu n’es plus cette petite fille aux faibles espérances,
tu es ce serpent, cette vicieuse petite couleuvre qui sait profiter de la torpeur des petites gens.
et aujourd'hui,
tu veux qu’il goûte à l’amer venin qui est entré dans tes veines, qu’il goûte à tes noirs mensonges,
lui, responsable de toutes les douleurs, qui ne semble pas se souvenir du passé invivable qu’il t’a fait subir.
« Moi aussi, j’ai vraiment besoin de cette montre. Elle est tellement belle… vous êtes prêts à surenchérir ? »
tu attends, tu guettes,
de tes yeux enflammés par l’esprit vengeur.
désormais tu ne crains ni la flamme ni l’ébullition,
il ne t’effraie plus.
prêtes à tout pour le détruire.
« Je peux offrir le double, voir le triple, autant qu’il le faudra pour acheter cette — maudite — montre. Je suis sûre que vous trouverez autre chose à votre goût. »
regard froid,
la voix voluptueuse,
les lèvres provocatrices.
tu l'observes avec un profond mépris,
toi, tellement belle, hautaine, superficielle,
tellement sûre de toi,
soutenant son regard de tes prunelles ivres de fierté.
pourtant méfies-toi du loup et de son sourire malsain.