Sadness Vs Happiness Ft Ichiro

Il est difficile de dire exactement ce que je regarde. Sûrement le mur, vu que là va la direction de mes yeux. Seulement, il n'y absolument rien sur le mur. Peut-être une poussière, si on s'approche d'un peu plus près, mais il devient clair que je ne regarde rien de particulier. Je regarde, comme dirait-on « dans le vide ». Une de mes activités favorites des dernières semaines, semblerait-il. Bon nombre ont essayé de me sortir du canapé, en général, ça ne marche pas. Il y a toujours quelques exceptions. Je ne sors véritablement que lorsque je dois aller au travail, car je ne peux pas y échapper : malgré la perte d'Anko, je suis toujours attendu à l'hôpital. Pour voir d'autres gens mourir, sentir l'odeur aseptisée des couloirs et admirer le beau blanc de ces murs. Ce n'est pas forcément difficile. J'ai appris à tout accomplir sans ressentir la moindre chose, à l'intérieur. Je suis un robot ou un zombie, comme vous voulez, mais je suis en tout cas, mort de l'intérieur. J'ai toujours cette façade de médecin bien trop parfait pour être vrai et j'accorde des sourires polis à mes patients, sans aller bien plus loin.

Personne ne semble avoir remarqué un seul changement chez moi. C'est assez normal, puisque le seul endroit où je me laisse aller à une véritable léthargie est chez moi. Je sais ce qui se dit autour de moi. J'entends les rumeurs, les chuchotements. Ce gars est insensible, il a perdu son ex petite amie, et il n'a pas versé une larme. Ah. Si. J'en ai versé, des larmes. Et je m'en veux toujours pour cet excès de faiblesse, qui n'a apaisé en rien la douleur dans ma poitrine. Je ne sais pas combien de semaines sont passées mais la vie a repris son cours pour à peu près tout le monde. Je ne sais pas bien si je souffre autant que les premiers jours, car la douleur est devenue sourde et permanente, si bien qu'elle peut sembler disparue.

Je ne bouge pas le regard en entendant mon colocataire rentrer, il fait sa vie, je fais la mienne, surtout que je ne suis pas extrêmement sociable et ne partage pas grands mots en général avec les gens qui partagent ma battisse.. Je dois être le plus ennuyeux des trois. Enfin. Des quatre, si on compte le chat. Je sens finalement une chaleur à mes côtés et je comprends que Ryosuke s'est assis à côté de moi. Il m'a apporté à boire, mais je n'ai pas soif.. Je trouve malpoli de lui dire alors je reste silencieux, mon regard quittant enfin le mur pour aller se poser sur le sol devant le canapé.

Sans trop me demander mon avis, il dit qu'on va sortir. Je ne sais pas s'il s'attend réellement à ce que je me lève et passe la porte. Je n'ai pas tellement la tête d'un gars qui a l'air d'aller vouloir faire la fête, sortir, ou tout simplement vivre. Le jeune homme ne semble pourtant pas découragé par mon absence de réaction et se retire très vite pour se préparer. Je me dis que.. Ah ; il va m'embêter des heures si je ne viens pas avec lui alors j'étire mes jambes et vais me nettoyer rapidement.

Quand je ressors, j'ai l'air d'un parfait gentleman. Séduisant, bien apprêté, avec un peu de couleur au visage, parce que je sais très bien faire semblant quand il s'agit de passer un pied en dehors de la porte. « Allons où tu veux » je réponds en haussant les épaules. Après tout, je n'avais pas prévu de sortir. Il me traîne où il veut, ça ne changera pas beaucoup. Je serai toujours un peu las.

Je me déteste d'être un si grand déprimé de la vie. Intérieurement, je remercie Ryosuke de ne pas me prendre comme une pauvre bête et m'adresser un regard ampli de pitié. Il m'adresse un sourire et j'y réponds légèrement : je suis comme ça, assez pudique, même au niveau des expressions de mon visage. Je sors de l'appartement et me rends rapidement vers la rue. « Je te laisse me guider. » dis-je en soufflant et en enfonçant mes mains dans les poches de mon pantalon. « J'espère que ce n'est pas un plan bizarre pour m'abandonner dans une ruelle de laquelle je ne pourrais jamais retrouver le chemin de la maison. Le chat ne t'aimera pas plus si je disparais. » je dis mine de rien. J'aime bien taquiner les gens. Même si mon visage reste assez de marbre quand je le fais

« ça fait longtemps que... » Je me gratte la tête. Avant la mort d'Anko, je me remettais de notre rupture en couchant avec toutes les filles qui passaient. Cette faim me reprenait au fond de l'estomac à nouveau. J'avais besoin de partager de la chaleur, même si ce ne serait jamais la même. Je m'étire. « J'espère qu'il y aura des jolies filles à Shibuya. Je compte sur toi. »

Ryosuke sait prendre les choses en main quand je n'ai pas la motivation de le faire par moi même. Quand j'ai l'impression que mon sang coule glacé dans mes veines et que mon cerveau n'est pas assez approvisionné en oxygène. Quand j'ai l'impression d'être un mort vivant dans ces rues. Il me traîne, m’entraîne, et je me laisse faire. Il nous mène vers un endroit que je ne connais pas et nous entrons à l'intérieur. La musique agresse mes oreilles, elle est trop forte, alors qu'elle doit être à un niveau tout à fait raisonnable. J'ai l'impression de tout recevoir amplifié, et je ferme quelques secondes les paupières pour me calmer. Aucun danger. Aucun.

Je sens quelqu'un passer à côté de moi à toute vitesse et rouvre les yeux, les serveuses sont sur des patins à roulette et un léger sourire vient se poser sur mon visage. Où m'a-t-il envoyé ce Ryosuke… En même temps, c'est un excentrique lui même, je ne vois pas pourquoi ça m'étonnerait qu'il m'amène dans un endroit pareil. Extravagant ? Je ne peux m'empêcher de rire. « C'est le mot ! Je vais te croire sur l'ambiance... »

Je m’assois autour de cette table libre qu'il a trouvé pour nous. Une serveuse arrive bien vite en roulant et je lui adresse un sourire, qu'elle me rend. Je sens tout de suite les petites étoiles dans ses yeux à voir deux hommes comme nous. Elles sont sûrement habituées aux pervers qui ne viennent que pour regarder leurs fesses tandis qu'elles s'éloignent.. Alors que nous deux, on est mignon. Elle ne sait pas vraiment qu'elle aura plus de chance avec moi qu'avec Ryosuke, il préfère d'autres types de fesses à regarder.

Il prend un Gin Tonic. J'ai envie de prendre de l'alcool, moi aussi. Je demande alors un Vodka Tonic pour rester dans le thème et soupire alors qu'elle s'éloigne. Je n'aime pas tant le goût de l'alcool.. Enfin, plus précisément, je trouve ça infect. Mais j'ai envie de ressentir l'ivresse, chose rare. J'aime avoir contrôle de tout mon corps mais je suis bien trop déprimé en ce moment pour avoir envie de penser clairement. Non. J'ai juste envie de m'échapper.

Je n'ai même pas la force de lui dire que je ne veux pas qu'il paye. Qu'il le fasse… En tant normal, je me sentirais honteux et vexé mais ce soir, rien ne compte vraiment. J'acquiesce mollement de la tête . Il me pose une question et je suis donc obligé finalement de prendre la parole.

« J'aime bien » je réponds, sincèrement. C'est original, « extravagant », comme il dit, et ça me permet de m'échapper un peu. « Mais mon canapé reste le meilleur pour l'instant, mon cher Ryosuke. On peut compter sur lui, pas de surprises… Qui sait ce qui va arriver ce soir. Surtout avec toi, je n'ai pas confiance en tes idées. Rien qu'à voir la tête de l'endroit, je suis sûr que tu pourrais faire des trucs bien fous dans la soirée » je débite en levant le regard vers lui. J'espère qu'il ne va pas me laisser en plan s'il trouve un gars un peu mignon. Enfin. Je ne lui en voudrai pas mais il m'a amené ici à la base. Alors que je m'apprête à lui demander de me trouver quelqu'un, quand même, une jeune femme s’assoit à côté de moi et se présente à nous deux.

Je ne sais pas pourquoi, je perds tous mes moyens. J'ai l'impression qu'en quelques semaines de déprime, j'ai oublié comment on fait, pour charmer une fille. Alors je la regarde et elle se rapproche de Ryosuke car j'ai l'air un peu bizarre, sûrement. Je soupire, désespéré par moi même, et sirote ma boisson qui vient d'arriver. « Ton ami a l'air d'avoir envie de se jeter d'une falaise... » fit la jeune femme avec une moue, à l'intention de Ryo.