Petite boule de poils dans les bras, Nara passa la porte du bar telle une espionne à la recherche de l’agent ennemi. Personne en vue si on oublie les clients et une serveuse dans un coin de la salle. Magnifique. Elle passa derrière le comptoir et s’accroupit pour donner quelques caresses à Croquette, la chienne d’Izô qui trainait là. « Tiens regarde Croquette, je t’ai ramené un copain, sois gentille avec lui. Le premier qui l’approche, t’as l’autorisation de lui mordre la main. » Déposant le chiot à la patte bandée à côté d’elle, elle récupéra son tablier ou elle avait carnet, stylo et monnaie. Vu qu’Izô n’était pas présent pour l’instant, allait savoir où il avait pu aller, elle resta derrière le bar. Qui va à la chasse perd sa place comme on dit. Travaillant tranquillement et sagement pendant un peu plus de cinq minutes – ce qui est un exploit – la demoiselle tourna la tête de tous les côtés pour repérer Izô. Bon il jouait à cache-cache ? Moue aux lèvres, Nara avait une folle envie de faire tourner en bourrique le garçon, mais si celui-ci ne daignait pas venir la rejoindre, elle allait finir par s’ennuyer. Son regard fut attiré par un téléphone dans un recoin sous le bar. Oh le téléphone d'Izô ! Grave erreur de le laisser sans surveillance. Hop elle le récupéra et le glissa dans sa poche l'air de rien. Un des garçons au comptoir qui semblait vouloir attirer son attention se prit un vent alors qu’elle repérait un client habituel avec qui elle avait pris l’habitude de flirter. Izô n’aimait pas quand elle faisait ça, tous ces hommes qui l’abordaient n’étaient jamais assez bien à ses yeux. Alors généralement c’était elle qui jouait à cache-cache pour l’éviter. Discutant avec le client, penchée vers lui, charmeuse, elle espérait que cela déclenche le radar hyper sensible du barman quand il s’agissait de repérer la moindre de ses bêtises.
Izô n'assume pas. Il n'assume vraiment pas. Le japonais est fatigué, non pire même et pourtant il est plutôt résistant en temps normal. Ouais normalement, normalement, pas comme maintenant. C'est à dire après avoir fait un peu trop de concerts – et après concerts par la même occasion – en soutien à de nombreuses causes aussi importantes les unes que les autres. Après de nombreuses heures au comptoir – autant devant que derrière – et après un peu trop de sorties et activités diverses, très diverses. Ce soir son corps dit non. Son cerveau sait surtout qu'après la fermeture c'est repos assuré et bien mérité donc autant se mettre en pause maintenant. En parlant de pause, l'amie qui l'aide au service pour qu'il puisse justement tout gérer lui propose de rentrer. Ce qu'il ne fera pas, il va aller faire un tour plutôt. C'est pas mal comme idée. Promis il revient. Le brun sort prendre l'air. L'air cette merveilleuse invention pour vous remettre les idées en place. Il s'étire, levant les bras au ciel tout en profitant d'un petit vent qui souffle sur son visage. C'est un temps idéal, temps à se poser dans l'herbe, boire quelques coups en bonne compagnie et profiter de la nuit. Non, le cerveau redis non, déjà fait. Trop fait récemment. Ralentir le rythme mais le maintenir quand même. Il se met à marcher, quelques pas avant de se poser sur un trottoir. La rue, le sol, deuxième maison. Un regard à gauche, un autre à droite, personne. Temps idéal pour fumer, pas de la nicotine, plutôt sa lointaine cousine dont il devrait vite aller se fournir parce qu'il est bientôt à court. Peut être après le boulot, en attendant au boulot.
Izô revient sur ses pas, rentre dans le bar oubliant un instant sa fatigue même si ses cernes et maintenant ses pupilles rouges n'oublient pas, elles. Croquette cours vers lui, il sourit, s'accroupit, caresse l'animal et s'arrête brusquement. C'est que Croquette n'est pas toute seule. Un chiot blessé. Nara, qu'il murmure. Non pas que Nara soit le chiot blessé, mais l'animal est un signe de sa présence. Il relève la tête, cherchant sa voisine du regard. Un client qui râle, la japonaise qui flirt avec un autre, de quoi réveiller Izô en un dixième de seconde. Oui aussi rapidement. Il retourne au comptoir, laissant les deux chiens. D'abord il sert le premier client, tout en ignorant – avec talent et dans le plus grand des arts – l'habitué et la jeune femme. Enfin, il se retourne vers eux, leur souriant, non sans arrières pensées. Il quitte à nouveau le comptoir pour s'installer juste à côté du client qu'il connaît bien et apprécie même. « Tu me sers la même chose, s'il te plaît ? » Qu'il demande en prenant en lui laissant la place volontiers et en demandant des nouvelles du jeune homme à côté. S'il dérange ? Ah peut-être.
C’est que Nara allait être triste si Izô ne daignait pas à apparaitre rapidement. Comment allait-elle pouvoir s’amuser – à ses dépens – sans lui ? Qui allait-elle embêter ? Et surtout qui allait-elle tourmenter de ses nombreuses conneries ? Elle commençait d’ailleurs à ressentir de l’ennuie. Triste façon de passer une soirée, l’ennuie n’était pas envisageable quand Izô était dans les parages. Pour l’instant elle se contentait de lui subtiliser son téléphone, si ce dernier était là, son propriétaire ne devait pas être bien loin, c’était un bon début. À son aise derrière le bar, la jeune femme se préoccupait surtout des clients qui l’intéressaient. Elle repéra d’ailleurs assez rapidement un habitué avec qui elle flirtait très souvent, généralement sous l’œil mécontent de son voisin de palier. Si d’apparence, elle semblait particulièrement concentrée sur le garçon avec qui elle parlait, elle perçue immédiatement l’arrivée du barman et lui jeta un rapide coup d’œil mais celui-ci entreprenait, très attentivement, de servir le pauvre client qu’elle avait rejeté quelques minutes plus tôt. Grand bien lui fasse. Elle continua de flirter avec le beau jeune homme assis au comptoir jusqu’à ce qu’ils se fassent interrompre par la venue d’Izô aux côtés du garçon, un air bien satisfait sur le visage. Et le voilà qu’il voulait qu’elle le serve tout en interpellant l’habitué. Nara le regarda, un air outré lui passa sur le visage pendant quelques secondes avant de se redresser fièrement. « Avec une tête pareille, crois-moi, tu devrais plutôt aller dormir. » lui dit-elle en souriant, sans aucun tact, avant de rajouter. « P’t’être bien que t’es pas majeur, j’peux voir ta carte d’identité ? Qu’est-ce que t’en pense Croquette ? On le sert ce garçon ? » demanda-t-elle en se tournant vers le chienne qui n’avait rien demandé à personne. Se faisant royalement ignoré, elle se tourna vers Izô et se pencha vers lui de façon à ce que son voisin ne soit pas invité dans la conversation. « Ça va ? Tranquille ? T’as pas l’impression de déranger ? » À peine. « De toute façon c’est pas grave. » Elle se rapprocha encore un peu et tourna la tête pour lui pointer du doigt un jeune homme à l’autre bout du bar. « Tu vois ce garçon ? Il est encore plus à mon goût que ton voisin. » Et elle lui offrit un grand sourire avant de partir sans un regard derrière elle, à l’autre bout du bar pour aller discuter avec ce charmant garçon. Qu’il ose revenir.
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