19h07. Il était encore en retard, pour ne pas changer. Même s'il essayait toujours, même s'il faisait de son mieux pour partir tôt, la vie ne lui avait jamais fait de cadeau et rares étaient les fois où il était arrivé à une ou deux minutes d'avance. Mais là, c'était un peu plus problématique étant donné qu'il avait été invité à un opéra par Airi. Il n'avait pas osé lui dire qu'il ne connaissait pas et que surtout, il n'aimait pas ce genre de représentation… Mais si c'était gratuit, il n'allait pas refuser. Et au moins, il avait pu voir la fille lui sourire et le remercier ; il en était secrètement satisfait. Il avait peut-être l'air relou, compliqué et négligé, mais faire plaisir aux gens était toujours l'une de ses priorités. Il s'était mis à courir, finalement, en voyant la jeune fille qui l'attendait à l'entrée de la salle. Elle l'avait sans doute déjà remarqué depuis l'autre bout de la rue, alors il s'était contenté de sourire comme un idiot un peu gêné, s'excusant platement. « Désolé.. Faut croire que j'arrive toujours pas à être ponctuel malgré le fait que j'sois parti une heure à l'avance. » Un petit soupir avait accompagné ses mots, plus dépité par lui-même qu'autre chose. N'empêche que, ce n'était pas parce qu'il était parti une heure à l'avance qu'il était vraiment prêt comme quelqu'un qui allait assister à un opéra. Il n'avait jamais pensé au fait qu'il fallait peut-être être un minimum bien habillé, pas même en voyant les vêtements de la demoiselle. Lui, c'était jean troué de partout, baskets, t-shirt imprimé avec une phrase digne des plus grands poètes, et une casquette banale noire qu'il portait tout le temps en ce moment. Comme d'habitude, en fait… Mais bref, il ne fallait pas faire attendre davantage, alors il avait pris les devants et était rentré dans le bâtiment. « Ah au fait, ça dure combien de temps? Parce qu'y a un film trop intéressant sur les tombes de l'époque Kofun qui passe ce soir à 21h… J'ai pas activé l'truc pour enregistrer. »
Après s'être installé, il avait jugé un peu du regard la pièce qui finissait de se remplir. Ils n'étaient pas trop mal placés… Enfin, aux yeux de Seiha, tout du moins. Et en prenant son expérience au niveau des salles de cinéma. Donc, ouais. Il savait pas trop finalement. Mais ça ne le dérangeait pas, il n'allait de toute façon pas tenir, il le savait. Mais il devait être fort. Ou au moins faire semblant. Courage. « J'ai hâte de te voir jouer quand même! J't'ai encore jamais vue jouer du piano… Tu crois que j'pourrai te filmer?? »
Ce soir, elle avait réussi à arriver à destination sans l’aide de son assistant ce qui relevait du miracle. Surtout dans la tenue dans laquelle elle se trouvait ; sa mère aurait été ravie de la voir dans une robe. Quant à elle c’est à se demander si elle ne va pas vomir ; heureusement qu’elle ne voit pas elle se dit. Patientant depuis un moment déjà, elle regarde autour d’elle tout est si flou ce soir, c’est comme si elle était incapable de reconnaître les objets à ce stade. La jeune femme entend des pas pressés puis voit une silhouette se rapprocher avec l’ébauche d’un sourire qu’elle est incapable de distinguer. Cependant elle sourit en retour, faiblement, ses pensées commandées par l’inquiétude et sa main tremblant comme une feuille à l’idée de mal faire et froisser à jamais le message envoyé par ces compositions qui ne sont pas les siennes.
Elle lui avait demandé de faire un effort vestimentaire, jusqu’ici elle n’a pourtant jamais vu son visage ni la façon dont il préfère se vêtir. Elle ne lui pose pas de questions pour autant parce qu’après tout ils ne se connaissent pas depuis si longtemps que ça ; et ça sonnerait de façon étrange dans sa bouche. Elle suit le pas et un faible rire s’échappe de ses lèvres, elle ne peut pas s’en empêcher pour le coup ; quel genre de réponse elle peut lui offrir sans que cela ne sonne d’une cruauté sans précédent dans ses oreilles ? Elle ne sait pas, rire est moins violent sans doute, et le mensonge aussi ;
Airi – Je sais pas trop… Peut être que s’ils se dépêchent on sortira plus vite.
Pour mentir si facilement, elle finirait en enfer, que ce soit sur le trône ou dans les éternelles flammes, c’était certain, elle savait. Finalement ils arrivent aux places situées au milieu de la pièce. Elle préférait cet emplacement mais si un jour elle pouvait, elle serait aux balcons. La jeune femme lève la tête vers lui après avoir prit place et passe sa main dans ses cheveux nerveusement avant de lancer amusée ;
Airi – Pourquoi est-ce que tu voudrais filmer ça~ elle marque une pause et ajoute Ca ne va pas tarder à commencer Un sourire enthousiaste se dessine alors sur ses lèvres.
Elle a toujours aimer venir ici, c’était comme sa troisième maison après le conservatoire. Finalement, les lumières s’éteingnent et elle garde le regard posé sur la scène bien qu’elle soit incapable de voir. Elle connait l’histoire par cœur mais les interprêtations sont différentes. Carmen…
Il ne savait pas exactement pourquoi, mais les paroles de la jeune fille ne l'avaient pas trop rassuré. Comment ça, s'ils se "dépêchaient"? Est-ce qu'il y avait vraiment un moyen d'accélérer la cadence d'un opéra? Il aurait vraiment dû regarder sur internet combien de temps ce genre de chose durait... Ou au moins s'informer sur certains trucs pour ne pas avoir l'air idiot si elle commençait à parler avec des termes compliqués.. Enfin bon. Maintenant qu'ils étaient installés, il ne pourrait pas faire ça discrètement. « Pourquoi est-ce que tu voudrais filmer ça? » Il n'eut même pas le temps de répliquer qu'elle repris la parole pour dire que ça ne tarderait pas à commencer. Après l'avoir observée du coin de l’œil, une petite moue s'était formée sur son visage. Lui qui était motivé pour claquer toute sa batterie et filmer la demoiselle, il avait été découragé par sa question. Il ne s'y connaissait pas et elle le prenait sans doute pour un idiot avec sa question... Mais tant pis. « Bah parce qu- » Il n'avait pas eu le temps de finir que les lumières s'étaient éteintes et un silence de mort s'était installé dans la salle, le surprenant un peu. Même au cinéma, c'était pas comme ça... Et il avait encore été coupé dans son élan. Ce soir, dieu ne voulait pas qu'il parle ; d'accord. Il avait compris. En tout cas, il la filmerait, qu'elle soit d'accord ou pas. Le droit à l'image? Il s'en foutait totalement.
Cela faisait quinze minutes que cela avait commencé, et Seiha ne s'était vraiment pas attendu à ça. Il savait que ce n'était pas son genre, ou en tout cas qu'il n'avait jamais été intéressé et que l'idée d'en savoir plus ne lui avait vraiment jamais effleuré l'esprit, mais maintenant il en était sûr: c'était trop compliqué pour lui. Il ne comprenait rien, et il n'aimait pas comprendre. Alors il n'aimait pas l'opéra. La plupart du temps, quand il ne comprenait pas, il faisait un gros rage quit, mais là... Il ne pouvait pas. Regardant un peu trop souvent les réactions du public plutôt que l'opéra en lui-même, il s'était alors rendu compte que vraiment, mais vraiment... Il n'y avait que lui qui sortait du lot. Tous les hommes étaient en costume, et les femmes portaient de jolis bijoux et des robes sans doute aussi chères que tout l'argent qu'il avait possédé dans sa vie. En regardant mieux Airi, il avait d'ailleurs remarqué que c'était aussi son cas. Il était définitivement le outcast de la salle. Jetant un petit coup d'oeil à ses vêtements, il grimaça légèrement. Il comprenait mieux pourquoi les vieux à côté de lui l'avaient reluqué en chuchotant.. Putain. Il espérait de tout cœur que ça ne durerait pas longtemps. Il allait mourir, autrement. Se rapprochant de l'oreille de son amie, il y chuchota un petit « Tu t'amuses? » plutôt curieux. Elle allait le tuer de lui parler en plein spectacle, non?
Des couleurs floues mélangées à de la lumière ; ici c’est le seul endroit où elle peut voir des personnes qui viennent du monde entier, parce qu’elle n’a pas pu jusqu’ici s’y rendre d’elle-même. D’une certaine façon, c’est comme une sorte de voyage, le fait d’être ici. Puis curieusement elle n’entend pas le jeune homme parler mais ne s’en plaint pas pour autant, se disant que peut-être il avait l’habitude lui aussi. Même si elle ne peut pratiquement rien voir ; ce qu’elle entend est agréable. Dans sa plus vaste imagination ; elle dessine les traits de Carmen dont la beauté doit être à en couper le souffle.
Elle entend la voix de Seiha s’élever dans un chuchotement qui la tire de ses pensées. Tournant à peine la tête vers lui dans un faible sourire, elle hoche doucement la tête. Et pour ne pas laisser le jeune homme trop seul, parce qu’il soit sans doute l’être elle se dit, elle lance alors dans un chuchotement ;
Airi – Tu vois là, il y a Carmen. Tu.. Tu arrives à la voir ? Elle doit être super jolie… Tout le monde l’aime mais elle ne voit que José.
C’est comme si elle-même voyait. Son sourire s’étire alors qu’elle entend la fameuse musique où la concernée élève sa voix. Malgré les paroles en français, elle n’a pas de mal à comprendre. Airi se rapproche du jeune homme et puis lui traduit les paroles en question qu’elle connaît certainement par cœur. L’habitude de fréquenter de tels lieux l’a appris à chuchoter de sorte à ce que cela ne gêne personne. Elle finit par applaudir, à la fin de la première partie et se concentre à nouveau sur la pièce une fois que le ton de la musique change.
Honnêtement, il ne comprenait absolument pas son univers. Et à cet instant précis, il arrivait enfin à se mettre dans la peau de quelqu’un qui n’en avait rien à faire de l’archéologie, de l’histoire, de l’art et de tout ce qui l’intéressait lui. Au début, il avait été très vexé de se prendre des remarques du style « t’as vraiment des goûts chelous mec », « arrête de vouloir t’intéresser au passé, travailles plutôt dans des trucs du futur parce que quand t’auras cinquante ans tu seras bien content d’avoir tout ce que t’as, là tu fais rien pour nous » etc. Là, il n’était pas aussi extrême mais il trouvait juste ça ennuyeux. Et du coup, il se sentait un peu mal de faire partie de ces personnes qu’il détestait tant. Alors il prenait sur lui et faisait un effort, souriant légèrement en hochant la tête lorsqu’elle lui pointait du doigt Carmen, ne tiltant que rapidement à l’emploi du « doit » dans sa phrase. « oui, elle est jolie… j’aime bien sa robe. Ça me fait penser aux robes des filles que j’avais vues en partant en Espagne, l’année dernière… Et pourquoi elle aime autant José… ? » Il devait avouer qu’il ne suivait pas trop en réalité, mais ce type d’histoire l’intéressait toujours un peu. Pourquoi rester accrochée à quelqu’un quand tu as un entourage aussi important ? Et puis de toute façon, c’était quoi aimer ? « Tu comprends Carmen ? T’as déjà aimé comme ça, toi ? Ou même aimé tout court… » Il ne savait pas trop est-ce qu'il lui posait cette question en plein opéra, mais d'un coup, sa curiosité avait repris le dessus. Peut-être qu'il allait enfin avoir sa réponse ce soir? Peut-être qu'il allait enfin comprendre toutes ces personnes qui se disaient amoureuses, qui se disaient sous le charme de quelqu'un d'autre, attirée physiquement ou mentalement...? Parce qu'il ne s'y connaissait pas, Seiha était énormément intrigué par tout ce qui touchait aux relations amoureuses, amicales, et affectives en général. Lui qui n'arrivait pas à faire la différence entre toutes ces façons d'être avec une personne, aurait bien voulu demander directement à Carmen le pourquoi du comment.
C’était vraisemblablement une autre façon de faire en allant à l’opéra, pas forcément déplaisante. Secrètement elle enviait Seiha d’avoir pu voir une partie du monde ; elle donnerait tout pour voyager mais elle avait peur de mettre les pieds dans un avion, incapable de ne pas se dire qu’il allait finir par exploser. C’était une de ses seules craintes pour elle qui allait mourir jeune selon les diagnostics des médecins.
Airi – Tu as de la chance… Elle murmure d’un ton à peine audible avant d’ajouter dans un chuchotement un peu mal à l’aise Um… Elle l’aime pour son image, parce qu’il peut lui rapporter quelque chose ; Ce qui n’est pas à proprement parlé de l’amour à mes yeux, juste de… De l’opportunisme voilà. Parce qu’il ferait tout pour elle et elle le sait. Mais d’une certaine façon elle l’aime quand même…
Elle secoue doucement la tête avant de chuchoter d’un ton sérieux ;
Airi – Non… J’ai un cœur de pierre… Je n’ai jamais aimé qui que ce soit… Un faible rire à peine audible s’échappe de ses lèvres face au silence du jeune homme avant qu’elle n’ajoute Disons que je ne suis pas douée avec ça ; je peux m’attacher mais quand il est question d’aimer…- Ah, mais je me rappelle avoir plus ou moins aimé quelqu’un, au lycée, c’était moi à la place de José et il m’a abandonné dans une station de train que je ne connaissais même pas. Elle marque une pause et ajoute dans un haussement d’épaules Depuis j’ai oublié son prénom.
Elle décroche son regard de la scène pour le poser sur Seiha et ajouter ;
Airi - C'est pas que je comprend Carmen, mais du certaine façon, je pense qu'elle fait ça pour éviter d'être blessée a première... Le monde n'est pas fait de personnes parfaite après tout... Elle marque une pause et ajoute Et toi, tu as déjà aimé quelqu'un ? Elle demande en reposant son attention sur la scène où les choses semblent avancer.
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