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Les aiguilles s’agitent dans le cadran rosé, effleurant les chiffres dorés, effleurant les orbes sombres de Miuna. Ses pieds volent au-dessus du tapis, se balancent un peu, se frotte l’un à l’autre. Et le temps passe avec une lenteur ennuyante. Et ses yeux continuent d’accueillir l’image du cadran.
La valise reste fermée dans un coin de sa chambre vide – vide de tout, même de sens. Le sentiment d’être à l’étroit a disparu depuis bien longtemps ; elle regarde désormais l’espace qui s’étend, la moquette crème s’étirer trop loin. Les coins de la pièce semblent s’éloigner d’elle à chaque pas qu’elle fait pour se rapprocher de son bureau. Elle soupire. Son regard se pose sur une paire de chaussettes longues qu’on a jetées ici sans jamais les replier. Volontairement ou pas, sa chambre était intacte. Elle datait encore du jour de son départ et l’air avait l’odeur de sa dernière nuit dans la chambre.
Miuna était de retour, tapie dans sa vieille ombre malsaine qu’elle cherchait à éloigner de son âme ; elle était là, prête à l’engloutir toute entière et Miuna s’offrait à la chétive  tâche obscure.
Il lui suffit d’enfoncer un bouton pour que le chauffeur se gare en face de la résidence vide de vie. Puisque Miuna n’est qu’un fantôme qui hante les lieux, effleurant du bout des yeux les pièces immenses et immensément vides.
Il y a longtemps que Miuna ne pleure plus.
Elle n’a qu’une expression dérangeante qui flotte sur son visage lorsqu’elle entre dans la voiture. Une expression vide de sens, de vie, vide d’elle.
Elle ne sent plus les regards, elle ne sent plus la présence d’autres autour d’elle. Elle se contente de descendre de la voiture et de combler la distance qui la sépare de la bibliothèque où Hiroki l’attendrait. Ou inversement.
Elle n’a pas tant changé. À distance, on aperçoit toujours la gamine qui se cache entre ses épaules tout en gardant son menton levé par habitude. Une gamine qui veut disparaître derrière ses vêtements de créateur, qui veut passer inaperçu en descendant d’une Rolls Royce noire en s’appuyant sur un chauffeur vêtu d’un costard classieux.
Tout en discrétion.
Elle s’assoit sur la première table, pour que toute personne qui entre ne puisse manquer sa présence –pas même Hiroki.

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Il fait les cent pas dans sa chambre, tourne sur lui-même. S’assoit sur le lit défait en tapant du pied, les yeux vaguant inlassablement sur le message qu’il lit et relit, s’attardent sur quatre mots en particulier qui secouent son échine.
Miuna, son cœur s’est froissé.
Retour, sa gorge, serrée.
Désolé, une rancœur refoulée.
Bibliothèque, rendez-vous inespéré.
Il a fixé les aiguilles de l’horloge figées par son impatience avant d’attraper ses affaires et sortir de la modeste bâtisse, le soleil agressant son visage basané par l’été. Les pas sont lourds et incertains, la semelle de ses vieilles godasses en cuir s’éclatant contre le goudron ardent alors que le battant frétille sous ses pensées volages. L’amertume et la rancune en duel avec la curiosité, l’envie de pardonner ; une bataille acharnée pour Miuna.
Miuna. La poupée lui a glissé d’entre les doigts ; elle s’est fracassée sur le sol, des bribes de son être ornant les carreaux gelés qu’Hiro tenta de recoller, en vain. Candeur et innocence évaporés pour ne laisser derrière elles qu’une simple gamine déchue, les pétales furent arrachées par la vermine qui arpente encore les rues tokyoïtes. Hiro, vermine d’un autre genre, les revisite d’un pas frénétique tandis qu’il pénètre dans les petites ruelles indiquées par la poupée. Perdues au milieu de Minato elles sont étroites et peu fréquentés, il se demande parfois comment la Yu parvient à dénicher ces lieux secrets.
La bibliothèque est étrangement ample mais silencieuse ; il y glisse son corps imposant, palpite lorsqu’il l’a voit assise là. Les traits sont décrispés et la crinière démêlées, ses joues délicatement rosées sous la pâleur de sa peau en porcelaine, Miuna retrouve des couleurs mais Hiro ne sourit pas. Il se contente d’avancer (il voudrait la prendre dans ses bras), les yeux curieux jugeant discrètement la gamine retrouvée.
Il reste planté là. Sombre imbécile aux bras ballants et à la gorge trop serrée, le cœur menaçant d’exploser sous un trop plein d’émotions qu’il ne laisse pas dessiner ses traits. Il s’assoit en face d’elle, les pieds de la chaise en bois grincent sur le sol alors qu’il se redresse, pose ses avant-bras sur la table sans quitter Miuna des yeux. « Est-ce que tu vas bien ? » Le Hiro connu de tous aurait tapé des poings et des pieds ; gamin capricieux, il aurait fait culpabiliser d’un regard assombri par la haine. (« t’étais où, putain ? pourquoi t’es partie ? comment t’as pu faire ça à tout l’monde, hein ? t’as pas honte ? on a eu tous peur pour toi, putain ! »)
Mais son âme est translucide, avec Miuna. Et les questions qui brouillent son esprit ne veulent pas franchir le bout de ses lèvres tant qu’elle n’aura pas répondu à la plus importante.

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Elle ne sait pas pas si elle a envie de parler. Elle ne sait pas dans quel but elle a demandé à Hiro d’être là. Elle possède juste cette affection particulière pour Hiro, cette affection qui le propulse au rang d’ami proche, cette affection qui fait de lui une personne spéciale, une personne dont elle a besoin pour retourner dans la vie Tokyoïte. Parce qu’elle est perdue et Hiro, il a su se dessiner dans ses tableaux désert ; un grand phare au cœur lumineux. Elle ne sait pas pourquoi les Moires avaient décidé de croiser les fils de leurs destins qui semblaient si différents. Elle ne sait pas tant de lui. Elle sait juste que sa présence apaise ses maux, délie ses mots et s’imagine une scène durant laquelle les Moires lui offrent Hiro en guise de compensation pour une erreur grossière sur le fil de la douce.
Elle sourit.
Puis de ses pensées on la chasse avec quelques mots un peu trop doux. Quelques mots qui se glissent dans un silence désormais lointain. Miuna ne savait pas à quoi s’attendre. Elle ne savait pas s’il serait en colère. Ou triste. Ou les deux. Elle a imaginé un mélange de colère et de tristesse qui l’aurait conduit à un comportement fâcheux, un comportement hors de son contrôle. Mais Hiro avait posé ses mots sur des nuages qui s’envolaient vers la gamine. Il la contemplait du regard. Elle fit de même. Laissa un petit laps de temps silencieux s’écouler avant de venir tout naturellement se glisser dans les bras de son ami. Confiante dans des gestes qu’elle n’avait pas répété depuis plusieurs mois, par peur de faire ressurgir un démon en fuite. « Merci d’être venu Hiro. »
Après un temps qu’elle n’a su compter, un temps à la fois long et court, elle se sépare, prend une distance lui permettant de parler doucement tout en étant comprise par son interlocuteur. « Je vais bien. » elle précise, répondant à la question car elle sait qu’il se contenterait de répéter celle-ci jusqu’à ce que Miuna réponde enfin.
« Je suis désolée. » son regard se jette au sol, un court instant. « Il s’est passé des tas de choses. » silence. « Je peux tout te raconter si tu veux mais toi, comment tu te sens ? »
En effet Miuna accordait une importance immense aux états d’âme d’Hiroki. Elle avait fait de lui un ami, une personne qui l’intéressait et pour qui elle éprouvait une profonde empathie. Pas seulement car elle ne le remercierait jamais assez pour l’avoir recueillie, fleur défaite de sa robe de pétales, après le massacre qui avait été commis sur sa personne. Pas seulement pour son épaule de fer qu’il lui offrait sans cesse lorsque ses larmes ne tarissaient plus mais également parce qu’elle s’était attachée au-delà d’événements fortuits à la personne d’Hiroki. Parce qu’Hiroki n’était pas juste une personne dotée d’humanité mais également d’une compréhension poussée, allant au-delà de l’acte de bonne foi, au delà des quelques Yens jetés au pieds d’un sans domicile fixe.

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