La pièce est à nouveau vide ; si elle n’avait pas insisté, peut être qu’Isao serait resté plus longtemps. C’est même une certitude, elle voyait dans ses yeux une inquiétude si importante depuis la première fois qu’il avait mit les pieds ici pour venir la voir, alors comme elle pouvait, elle faisait mine d’aller mieux alors que son moral trempait dans les eaux troubles de quelque chose proche de l’amertume. C’était le silence radio et les idées traversant son esprit lui brisaient à chaque fois un peu plus le cœur. Certainement, si elle avait pu être ailleurs à l’heure actuelle, elle serait soit dans un avion à fuir, soit à la recherche désespérée de ce qui causait tant de maux à son esprit.
Elle ne veut pas être ici et écouter des promesses se transformer en mensonges ; sentir son cœur s’alourdir de plus en plus et finalement la noyer dans l’ambiance lamentable de cette chambre. Donner de l’espoir pourquoi au final… Si elle avait dit qu’elle déjeunerait seule aujourd’hui, elle n’a toujours pas touché à son assiette, elle n’y touchera probablement pas et demandera à l’infirmière de se débarrasser des preuves silencieusement. Pas la tête à ça. Plus la tête à quoi que ce soit. Surprise d’entendre quelqu’un frapper à la porte, elle ouvre les yeux et la regarde quelques secondes avant de marmonner pour elle-même, persuadée qu’il s’agit d’Isao ;
Noa – Je lui ai dit d’aller déjeuner et il… Un soupir quitte ses lèvres.
Cependant avant qu’elle n’ait le temps de dire quoi que ce soit, elle entend la porte s’ouvrir et ce n’est pas Isao, ce n’est pas non plus Yuuri comme elle l’espérait silencieusement. Les yeux de Noa le suivent du regard et elle ne comprend pas tout de suite ;
Noa – Excusez moi, vous ne pouvez pas être ici, sortez tout de suite avant que je n’appelle la sécurité… Elle dit d'une voix légèrement enrouée à cause de la fenêtre qui est restée ouverte trop longtemps la veille
Il avait accepté, mais vraiment par dépit. Il avait accepté, mais il avait le droit de ne pas y aller. Il avait accepté, mais ça ne voulait pas dire qu'il était obligé d'être serviable et compatissant. Il ne faisait que se répéter ces mots sur le chemin pour l'hôpital. Il n'était vraiment pas en grande forme aujourd'hui, après avoir dormi à peine trois heures à cause d'un devoir à rendre qu'il avait oublié, il n'était qu'environ midi et dieu seul savait à quel point tout ce qu'il souhaitait, c'était rentrer et se foutre au lit. Mais bon, il devait faire preuve de gentillesse au moins une fois de temps en temps, n'est-ce pas? Surtout si c'était sa mère qui lui avait demandé. Il ne pouvait pas prendre le risque que sa cousine, parce que oui, c'était sa cousine qu'il venait voir, aille tout cafter à ses parents. Honnêtement, plus il essayait de se souvenir d'elle, et plus ses souvenirs étaient flous. Il se souvenait bien avoir vu plus d'une fois deux petites filles venir à la maison jouer avec lui et son frère, mais il avait du mal à mettre un visage dessus. Il ne savait pas trop à quoi s'attendre en la rencontrant ; si ça se trouve, elle n'était pas au courant de sa visite, ou elle ne se souvenait même plus de lui non plus. Merde, il fonçait tête baissée dans ce qui serait sans nuls doutes le moment le plus gênant de sa vie, mais tant pis. Sa morale l'interdisait de fuir, mais son coeur se serrait déjà à l'idée de devoir affronter le regard de la demoiselle.
Une fois arrivé là bas, il avait ressorti le petit papier qu'il avait pris pour noter ce que que sa mère lui avait donné, à savoir le nom de l'établissement, l'étage et le numéro de chambre de la jeune fille, et s'était mis à chercher le bon ascenseur qui l'aiderait à la rejoindre. En moins de cinq minutes il s'était retrouvé devant la porte, et prenant son courage à deux mains, il toqua sans trop hésiter. Il n'attendit pas vraiment qu'elle l'autorise à rentrer, mais peut-être aurait-il dû le faire ; elle l'avait pris pour un autre... Génial. Vu la tête qu'elle faisait et les mots qu'elle venait de lui sortir, elle ne semblait pas savoir qu'il devait venir et encore moins le reconnaître. Merci maman. Ce n'est que quelques secondes après l'avoir reluquée qu'il se mis à soupirer: « J'viens te rendre visite et c'est comme ça que tu m'accueilles...? Sois un peu plus gentille, Yua.. Parce que j'vais pas partir de sitôt. »
Combien d’années se sont étalées maintenant ? C’est un calcul que la jeune femme ne fait plus. Comme pour effacer la douleur marquée dans sa peau au fer rouge, elle ne fait plus le calcul. Maintenant c’est étrange d’entendre son ancien prénom ; celui donné par ses parents biologiques. Eux qu’elle déteste tant ; autant que ce prénom qui lui rappelle sa vie qui n’en était même pas une. Elle se concentre sur ce visage et en se concentrant un peu plus elle parvient à y mettre un prénom. Mais seulement elle ne parle pas tout de suite, sa main venant se poser lentement sur sa bouche. Maintenant le nombre vient cogner dans sa conscience ; quatorze ans qu’elle n’avait pas vu Seiha. Elle s’en veut presque de ne pas l’avoir reconnu tout de suite mais elle n’a pas réussi à l’avoir. Honnêtement elle ne sait plus combien de temps cela fait ; mais elle avait été invitée chez son oncle. Cependant elle n’a pas pu le voir à ce moment-là et elle était beaucoup trop troublée pour y penser. Ce silence dure, ce n’est pas de sa faute si les sentiments l’étranglent soudainement. Elle se reprend.
Noa – C’est Noa, elle corrige avant d’ajouter rapidement Ca y est, tu es enfin revenu de ton périple ? Même si c’est ironique, elle ne parvient pas à sourire, ce n’est que l’ébauche d’un sourire inachevé. Tu n’as absolument pas changé elle dit dans un souffle tandis qu’elle croise les bras pour dissimuler ses blessures. J’ai essayé de te joindre tu sais elle dit en levant les yeux vers lui
Ce n’est pas un reproche, c’est simplement un fait ; du regard elle indique la chaise à côté du lit pour qu’il y prenne place. C’est comme si elle revoyait certaines scènes en voyant son visage, mais elle ne dit rien, elle ne veut rien dire, elle ne peut rien dire à propos de tout ça parce que c’est fini. Evidemment Seiha doit savoir toutes ces choses ; au moins pour la plupart ; pour ses parents en taule, pour ce qu’ils ont fait, pour ces choses auxquelles Noa a échappé dont la mort en elle-même.
Noa – Comment tu vas ? Elle parvient à lancer d’un ton plutôt détendu, ne sachant pas quoi demander d’autre.
Il avait haussé un sourcil. Noa? Sa mère ne lui avait pas dit. Est-ce qu'elle était au courant? Certainement... Ou peut-être pas. Il ne savait plus trop faire la différence entre les choses qu'il savait, les choses qu'il ne savait pas et les choses qu'il avait oublié. Et il ne savait pas non plus ce que savaient ses parents. Ni ce qu'elle avait réellement vécu. Dans ses souvenirs d'enfant, il n'avait que trop compris l'idée que ses parents aient été envoyés en prison, que l'une des deux filles était morte et que l'autre avait disparu pour réapparaître à la capitale. C'était, à l'époque, au dessus de ses capacités. Alors il avait vécu ainsi, presque dans le mensonge, et s'était même forgé l'idée avec le temps qu'elle les avait abandonnés, lui et son frère. Il ne pouvait pas s'empêcher de lui en vouloir, comme il ne pouvait s'empêcher de sourire pour lui même de soulagement en réalisant que finalement, le visage de la demoiselle ne lui était pas si inconnu. « Tu n’as absolument pas changé », qu'elle avait dit. Et ça aussi, ça lui avait fait hausser un sourcil. « Content de voir que tu te souviens de plus de choses que moi, visiblement. » Quelques secondes plus tard, ce n'était plus debout, mais installé sur la chaise qu'elle lui avait montré un peu plus tôt qu'il l'observait du coin de l'oeil ; il lui en était d'ailleurs reconnaissant. Il n'aimait pas cette impression d'être donné en spectacle en restant debout quand l'autre était installé confortablement. « Quand et comment? Je n'ai jamais entendu cette histoire. Pour moi, tu n'as jamais voulu me reparler. Mais j'suppose que je t'en veux pas. En tout cas j'fais des efforts pour. » Les mots sortaient d'eux même et il s'en voulait un peu, parce que de son point de vue, ce qu'il disait était réellement blessant. Et il espérait qu'elle ne le prenne pas de cette manière, parce qu'il n'avait pas voulu le dire ainsi. Mais il n'arrivait pas non plus à exprimer cette sensation de manque, jusqu'à aujourd'hui, qu'elle avait créé. Surtout avec si peu de souvenirs d'elle en tête.
Le silence devenait gênant pour lui, il n'aimait pas trop ça. Mais il ne savait pas quoi dire, et alors qu'il était décidé à changer la donne pour détendre un peu l'atmosphère, une autre voix avait déjà raisonné dans la pièce. « Comment tu vas? » Il avait laissé flotter un petit instant la question dans l'air ; il ne savait pas trop quoi répondre. Devait-il lui répondre sous le ton de la rigolade que tout allait très bien depuis qu'il avait découvert les bienfaits de la drogue? Devait-il lui raconter ses petites prises de tête avec son frère et le fait qu'il se faisait de la thune pas très légalement? Ou juste lui parler des cours, comme il le faisait à chaque fois avec sa famille? Il ne savait pas. Il ne savait plus rien, aujourd'hui. « Eh bien, j'vais plutôt bien merci d't'en soucier. Par contre, toi... On peut pas dire la même, on dirait. Maman m'a pas trop dit ce qu'il t'es arrivé, alors j'compte sur toi pour m'expliquer... »
Elle ignore pourquoi ses paroles sont aussi plates, pour elle c’était toujours mieux que se retrouver en face de photos de lui ; il n’y avait plus grand-chose qui pouvait l’atteindre maintenant de toute façon, les mots en faisant parti. Répondre avec autant de nonchalance que lui n’apportera rien de bon et elle le sait bien, alors elle tente de garder son sarcasme dans ses draps, cachés avec ses blessures.
Noa – Apparemment, le réseau est très mauvais là où tu es, mais je suppose que je ne t’en veux pas. Elle dit en haussant les épaules. Aller Seiha, sois un peu plus malin, tu n’as pas mis un pas devant l’autre jusqu’à te retrouver ici.
Elle regarde à travers la fenêtre et répond alors ;
Noa – Je n’ai pas eu beaucoup de chance durant le tremblement, mais au moins je ne suis pas morte.
Elle ne pensait pas non plus que vivre dans de telles conditions était une bénédiction ; elle aurait préféré la mort, largement. Mais ce n’était pas des choses qu’elle s’imaginait dire à qui que ce soit. Encore moins Seiha. Un faible sourire triste se dessine sur ses lèvres, similaire à un sourire artificiel, il s’estompe cela dit rapidement avant qu’elle ne lance ;
Noa – Personne n’a été blessé ? Puis qu’est-ce qu’il se passe Seiha, pourquoi est-ce que tu es venu ?
Il faut croire qu'elle n'a plus l'habitude des petites attentions ; sa présence même dans la même pièce qu'elle est étrange à ses yeux. Elle avait espéré le voir depuis si longtemps et il n’apparaissait que maintenant, quand elle s'est persuadée qu'elle ne le verrait plus.
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